Page:Dickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 1.djvu/216

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— Et de belles dames, encore ! s’écria la petite personne en faisant un signe affirmatif. Je suis habilleuse de poupées.

— Est-ce un bon état ? »

L’enfant haussa les épaules, et secoua la tête. « Non, dit-elle, on vous paye mal, et on vous presse tant ! J’ai eu, la semaine dernière, une poupée qui s’est mariée ; il a fallu passer les nuits, et ce n’est pas bon pour moi, qui ai le dos si malade et les jambes si faibles ! »

Ils regardaient la petite créature d’un air de plus en plus surpris.

« Je regrette, dit Bradley, que vos belles dames soient si exigeantes.

— Elles sont toutes comme cela, répondit l’habilleuse en haussant les épaules ; et si peu de soin de leurs affaires ! et changer de mode tous les huit jours. Je travaille pour une poupée qui a trois filles. Bonté divine ! il y a de quoi ruiner le mari. » La fine créature poussa un petit éclat de rire strident et malicieux, et regarda les visiteurs du coin de l’œil. Elle avait un petit lutin de menton singulièrement expressif, qui, au moment où elle lança ce coup d’œil, se releva comme s’il avait été mu par le même fil que les yeux.

« Êtes-vous toujours aussi occupée qu’aujourd’hui ? demanda Bradley.

— Souvent bien davantage. Ce soir, je n’ai rien qui me presse. J’ai fini avant-hier un deuil considérable ; une poupée, pour laquelle je travaille, avait perdu l’un de ses serins. » La petite personne poussa un nouvel éclat de rire, et hocha plusieurs fois la tête comme pour ajouter : Oh ! le monde ! le monde !

« Vous n’êtes pas seule toute la journée, reprit Bradley ; est-ce qu’il n’y a pas dans le voisinage quelques enfants ?…

— Miséricorde ! » s’écria la petite personne en poussant un cri aigu, comme si on l’avait piquée. « Ne me parlez pas des enfants, je ne peux pas les souffrir. Je connais leurs tours et leurs manières, » dit-elle, en agitant son petit poing qu’elle avait placé à la hauteur de ses yeux.

Peut-être n’y avait-il pas besoin de l’expérience de l’instituteur pour attribuer l’amertume de ces paroles aux infirmités de la pauvre créature. Dans tous les cas, le maître et l’élève le comprirent ainsi.

« Toujours courant et criant, jouant et se battant, poursuivit la petite infirme ; toujours saute, saute, sautant sur le trottoir, et le barbouillant avec de la craie pour leur marelle. Ah ! je connais leurs manières ! (Le petit poing s’agita de nouveau.) Et ce n’est pas tout ! disant des sottises au monde par le trou de la