Page:Dickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 1.djvu/217

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serrure, et contrefaisant le dos et les jambes des personnes. Oh ! je les connais bien ! je vous le promets. Il y a, sous l’église, des portes noires qui mènent dans des souterrains noirs ; je voudrais ouvrir un de ces souterrains, les y fourrer tous, puis fermer la porte, et souffler du poivre par le trou de la serrure.

— Du poivre ! À quoi bon ? s’écria Charles.

— Pour les faire éternuer, répondit-elle ; et pendant qu’ils seraient là, pleurant et rougissant, je me moquerais d’eux comme ils se moquent des autres. »

Un brandissement du petit poing, qui s’agita devant ses yeux, parut la soulager, car elle ajouta d’un air calme :

« Non, non, non, pas d’enfants ; de grandes personnes. »

Il était difficile de deviner l’âge de cette étrange créature. Son pauvre corps ne fournissait à cet égard aucune donnée, et son visage était à la fois si vieillot et si jeune, qu’il ne vous renseignait pas mieux. Douze ou quinze ans pouvaient approcher de la vérité.

« J’ai toujours préféré les grandes personnes, continua la pauvre infirme ; tant de raison ! puis si tranquilles. Elles ne sont pas toujours à danser, à cabrioler. Je ne veux pas en voir d’autres en attendant que je me marie. Je suppose que je me marierai un de ces jours ; il faudra bien que je m’y décide. »

Elle prêta l’oreille à des pas qu’elle entendait au dehors ; puis un coup léger fut frappé à la porte. « En voici une, par exemple, que j’aime de tout mon cœur, » dit-elle avec un sourire, tandis que sa main tirait le cordon. Et Lizzie, vêtue de noir, entra dans la chambrette.

« C’est toi, Charles, » s’écria-t-elle en le pressant dans ses bras, comme autrefois, ce dont il parut éprouver une certaine honte.

« Allons, chère, allons, dit-il, sois plus calme. Voilà mister Headstone qui a bien voulu m’accompagner. »

Les yeux de la jeune fille rencontrèrent ceux de Bradley. Celui-ci, évidemment, s’attendait à voir une personne bien différente. Ils se saluèrent en balbutiant quelques mots de politesse. Lizzie était troublée par cette visite inattendue ; Bradley n’était pas à son aise, mais jamais il n’y était complètement.

« J’ai dit à monsieur que tu n’étais pas installée, reprit l’élève ; il n’en a pas moins été assez aimable pour exprimer le désir de te voir ; je l’ai donc amené. Comme tu es fraîche ! »

Bradley paraissait être du même avis.

« N’est-ce pas ? s’écria la petite personne, qui avait repris son ouvrage, bien que le jour déclinât rapidement. N’est-ce pas, qu’elle a bonne mine ? vous le trouvez comme moi, je le crois sans peine. Mais parlez donc, vous autres.