Page:Dickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 1.djvu/264

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Le déjeuner s’acheva au milieu de l’entente la plus cordiale. Fascination reconnut son incapacité dans l’art de plaire, et réclama l’assistance de ses coadjuteurs. Il fut donc arrêté que mister et missis Lammle poursuivraient leurs manœuvres ; qu’ils feraient tous deux la cour pour Fledgeby, et que rien ne serait épargné pour lui assurer la victoire.

Mister Podsnap est loin de soupçonner les filets et les piéges qui sont tendus à sa jeune personne. Il la croit en sûreté, au fond du Temple de la Podsnaperie, attendant l’époque où elle prendra le Fitz-Podsnap qui l’enrichira de tous ses biens.

Ce serait appeler la rougeur au front de cette jeune personne modèle, que de supposer qu’elle puisse avoir à se mêler de pareille matière, si ce n’est pour épouser celui qu’on lui présentera, et pour recevoir, par acte en bonne forme, le douaire considérable qui lui sera attribué. Qui donne en mariage cette femme à cet homme ? Moi, Podsnap ! Périsse l’audacieuse pensée qu’une créature quelconque puisse se placer entre moi et ma jeune personne.

Fascination n’a recouvré son assiette, et la température habituelle de son nez, qu’après le départ de mister Lammle. Bien que ce soit un dimanche il se dirige vers la Cité, et marche en sens contraire du flot vivant qui s’en échappe. Il arrive ainsi aux environs de Sainte-Mary-Axe, dans un quartier où la tranquillité domine. La maison jaune, aux étages surplombants, à la façade recouverte de plâtre, devant laquelle il s’arrête est d’un calme profond. Tous les volets sont fermés, et les mots Pubsey et Cie semblent dormir sous la fenêtre du bureau qui se trouve au rez-de-chaussée, et donne sur la rue assoupie.

Fascination a frappé et sonné, refrappé, resonné ; personne ne paraît. Il traverse la rue qui est étroite, et lève son regard sur les fenêtres de l’étage supérieur : personne n’abaisse les siens vers lui. Fledgeby s’impatiente ; il retraverse la rue, et tire le bouton de la sonnette, comme si c’était le nez de la maison, et qu’il voulût se venger sur elle de la scène du matin. L’oreille collée au trou de la serrure, il paraît cependant acquérir la certitude qu’on a remué à l’intérieur. Son œil, appliqué au même endroit, confirme sans doute le témoignage de son oreille ; car il tire avec colère le nez de la maison, et le tire, et le tire, et continue de tirer jusqu’au moment où un nez humain apparaît sous le portail.

« Enfin ! s’écrie-t-il ; vous jouez là un vilain jeu. »

Celui auquel il s’adresse est un vieux juif, revêtu d’une ancienne houppelande, à longue jupe et à larges poches. Un homme vénérable, à tête chauve et luisante, garnie, sur les côtés, de