Page:Dickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 1.djvu/331

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se présentera pour moi, reprit-elle, ne devra pas être gentleman ; s’il l’était par hasard, je l’enverrais bien vite faire son paquet. Mais je n’ai pas captivé mister Wrayburn. Quelqu’un a-t-il fait sa conquête, Lizzie ?

— C’est probable.

— Et qui donc ?

— Une belle dame à qui il aura inspiré de l’amour, et que de son côté il aime tendrement.

— Je n’en sais rien. Mais que penseriez-vous de lui, très-chère, si vous étiez une lady ?

— Moi, une lady ! quelle idée ! s’écria-t-elle en riant.

— Eh bien oui, une idée ; répondez-moi tout de même.

— Une lady ! moi, pauvre fille, qui ai si souvent ramé pour mon père ; moi, qui justement avais conduit le bateau le soir même où je l’ai vu pour la première fois ; moi, qui me suis trouvée, ce soir-là, si intimidée par son regard que je suis sortie de la chambre. » (Vous n’étiez pas une lady ; et il ne vous en a pas moins regardée, pensa miss Wren). « Moi, continua Lizzie à voix basse et d’un air pensif ; moi, une lady ! quand cette accusation pèse toujours sur la mémoire de mon père ; quand cette tache qu’il essaya d’effacer nous reste encore !

— Ce n’est qu’une idée, une supposition, reprit la petite habilleuse ; vous pouvez bien répondre.

— Vous allez trop loin, Jenny ; mes idées ne vont pas jusque-là. »

Un éclair jeté par le feu qui s’était assoupi, montra qu’elle souriait d’un air triste et rêveur. « Puisque j’y tiens, reprit miss Wren. C’est une idée, un caprice ; il faut bien faire ce que je veux ; je suis si malheureuse ! J’ai passé aujourd’hui des moments si durs avec mon vilain fils ! Allons, regardez le feu, Lizzie, comme vous faisiez autrefois dans ce vieux moulin-à-vent qui vous servait de maison. J’aime tant ces histoires-là ! Cherchez la place où vous lisiez la bonne aventure ; vous savez bien, celle de votre frère.

— Le petit creux à côté de la flamme ?

— Justement ; regardez ; vous y trouverez une lady.

— Plus facilement que je ne puis le devenir, chère mignonne. »

L’œil brillant de Jenny attacha son regard ferme sur le visage rêveur qui souriait au brasier. « Eh bien ! dit la petite créature, avons-nous trouvé notre lady ? »

Lizzie fit un signe affirmatif, et demanda si elle devait avoir de la fortune.

« Cela vaut mieux puisqu’il est pauvre.

— Faisons-la donc très-riche. Faut-il qu’elle soit jolie ?