Page:Dickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 1.djvu/332

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— Assurément ; c’est une condition que vous pouvez remplir, Lizzie.

— Elle est donc très-belle, et…

— Quelle opinion a-t-elle de lui ? demanda miss Wren à voix basse, l’œil attaché sur la figure pensive qui regardait toujours le feu.

— Elle est contente, bien contente d’avoir une grande fortune parce qu’alors il sera très-riche. Elle est heureuse, oh ! bien heureuse d’être belle parce qu’il sera fier de sa beauté. Son pauvre cœur…

— Eh bien, dit miss Wren, son pauvre cœur ?

— Est à lui tout entier ; avec tout son amour, toute sa foi. Elle serait joyeuse de mourir avec lui ; plus encore de mourir pour lui. Elle connaît ses défauts ; mais elle sait qu’ils viennent de son abandon, de l’isolement où il se trouve, de ce qu’il n’a rien à aimer, rien à protéger ; rien qui réclame son estime et son appui. Si elle pouvait lui dire : laissez-moi remplir ce vide, laissez-moi vous prouver combien je suis peu occupée de moi-même, vous montrer tout ce que je pourrais faire, tout ce que je pourrais souffrir pour vous, et vous deviendrez meilleur à cause de moi, qui suis pourtant si peu de chose, et qui, en dehors de l’attachement que j’ai pour vous, ne mérite pas un souvenir ! »

Tandis que le visage qui regardait le feu s’inspirait du sentiment qu’exprimaient ces paroles, et arrivait à l’extase, la petite habilleuse avait rejeté ses beaux cheveux en arrière, et le regard qu’elle attachait sur la figure de son amie était devenu plus grave, et comme empreint d’alarme. Elle baissa la tête quand les paroles eurent cessé, et laissa tomber un gémissement.

« Vous souffrez ? demanda Lizzie comme réveillée tout à coup.

— Oui, répondit-elle ; mais ce n’est pas de l’ancien mal. Couchez-moi ; ne me quittez pas, fermez la porte, et restez là. » Puis détournant la tête, elle murmura tout bas en se parlant à elle-même : « Pauvre Lizzie ! pauvre Lizzie ! Revenez en longues files brillantes, ô mes beaux enfants ! revenez pour elle, pas pour moi, enfants bénis ; elle a plus besoin que moi d’être secourue. »

En disant ces mots-là la petite couturière avait tendu les mains vers le ciel, et accompagnait ce geste du regard éloquent et pur que nous lui avons déjà vu. Elle se retourna ensuite vers son amie, et lui jetant les bras autour du cou, elle se berça comme un enfant qui souffre.