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L’AMI COMMUN.

— Enchanté d’avoir votre approbation, répliqua Fledgeby. Singulière coïncidence ! mister Twemlow. — Il descendit de son perchoir, et s’approcha du gentleman. — N’est-il pas étrange que les amis dont les tristes affaires me font vous rencontrer, soient justement ceux chez qui nous nous sommes vus la première fois : ces pauvres Lammle. Une femme charmante, n’est-ce pas ? »

Twemlow pâlit horriblement. « Oui, balbutia-t-il ; une femme charmante.

— Et lorsqu’il y a deux heures, faisant appel à mon amitié, elle m’a prié de voir ce Juif, avec lequel j’ai été en relation, à propos d’une autre personne que je voulais également obliger, lorsqu’une femme de cette valeur m’appelle son cher Fledgeby en versant des larmes, vous sentez que je n’avais qu’une chose à faire.

— C’était de venir, dit Twemlow avec effort.

— Et je suis venu, comme vous voyez. Malheureusement je n’ai pas sur cet homme l’influence qu’elle me suppose. Mais pourquoi, ajouta Fledgeby en mettant les mains dans ses poches et en prenant un air méditatif, pourquoi ce Riah a-t-il pris son chapeau dès que je lui ai parlé du billet de Lammle, un billet qui lui permet de saisir les meubles de ce pauvre garçon ? Je lui demande un sursis, il me coupe la parole, et s’en va en toute hâte. Pourquoi est-il si longtemps ? je n’y comprends rien. »

Le généreux Twemlow, chevalier du cœur simple, n’était pas en état de répondre ; il avait trop de remords. Avoir pris part à des menées ténébreuses pour la première fois de sa vie, et reconnaître qu’on a été injuste ! S’être opposé clandestinement au bonheur d’un jeune homme plein de confiance, par le seul motif que ses manières vous déplaisent !

« Je vous demande pardon, poursuivit le confiant jeune homme, qui prenait plaisir à entasser les charbons ardents sur la tête du sensible Twemlow, je suis peut-être indiscret ; mais ne pourrais-je pas vous être utile ? On vous a élevé en gentleman et pas en homme d’affaires ; il est possible qu’à cet égard vous ayez peu d’expérience ; on doit même s’y attendre (ceci d’un ton légèrement ironique).

— En effet, monsieur, répondit Twemlow, je suis, en affaires, un triste sire ; à ce point que je ne comprends même pas la situation où je me trouve ; mais il y a un motif qui m’empêche d’accepter votre assistance ; il me serait pénible, monsieur, d’en profiter ; je ne la mérite pas. »

Créature enfantine et bonne, condamnée à suivre en ce monde un sentier si étroit et si ombreux qu’il ne s’était pas taché en route !