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L’AMI COMMUN.

— Très-vrai ! s’écria la petite personne avec un nouveau claquement de dents ; votre baguette m’a touchée et me voilà raisonnable. Non pas, dit-elle en faisant sautiller finement ses yeux et son menton, qu’il y ait besoin pour cela d’être une marraine merveilleuse. »

Tout en causant, le vieux Juif et sa compagne avaient franchi le pont de Westminster, et suivaient la route que le vieillard avait prise pour venir ; mais ils n’allaient pas dans la Cité, car ils traversèrent de nouveau la Tamise par le pont de Londres, descendirent le bord de l’eau, et poursuivirent dans cette direction leur course de plus en plus brumeuse.

Avant d’arriver là, miss Wren avait arrêté son vénérable ami devant la montre d’un magasin de joujoux brillamment éclairé. « Regardez-bien ! avait dit la petite couturière ; tout cela est mon ouvrage. »

Ces paroles se rapportaient à un demi-cercle de poupées, offrant aux regards toutes les nuances de l’arc-en-ciel : qui, en toilette de cour, en toilette de bal, en toilette de ville ; en amazone, en mariée, en demoiselle d’honneur ; parées, en un mot, pour toutes les circonstances joyeuses de la vie.

« C’est charmant, charmant ! dit le vieillard, en frappant dans ses mains ; c’est d’une élégance et d’un goût parfaits ?

— Enchantée qu’elles vous plaisent, répondit la petite habilleuse, d’un air un peu hautain. Mais ce qu’il y a de drôle marraine, c’est la manière dont je me procure le patron de leurs toilettes. Seulement la chose est pénible ; ce qu’il y a de plus fatigant dans le métier ; alors même que je n’aurais pas le dos malade et les jambes si faibles. »

Le Juif l’interrogea du regard, ne comprenant pas ce qu’elle disait.

« On ne s’en doute pas, marraine ; il faut courir la ville, et à toute heure ! S’il ne fallait que rester chez soi, à tailler et à coudre, ce ne serait rien ; mais c’est d’essayer les toilettes qui est pénible ; cela m’exténue.

— Essayer vos toilettes, comment cela ? demanda le Juif.

— Oh ! quelle marraine peu intelligente ! s’écria la petite habilleuse. C’est pourtant bien simple : il y a un bal, une soirée, un jour de parc, une exposition, une fête, une cérémonie quelconque ; je me glisse dans la foule, et je regarde autour de moi. J’aperçois une lady qui fait mon affaire, je l’examine, j’en prends note, je reviens chez moi bien vite, je taille le patron, je coupe et je bâtis. Une autre occasion se présente, je retrouve ma toilette, j’examine de nouveau et je corrige. Elle semble dire la plupart du temps : « Comme cette petite me regarde ! ouvre-