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L’AMI COMMUN.

tirer la bouteille de sa niche : « Est-ce une femme, ou une enfant ?

— Bien jeune encore : enfant par les années ; mais femme par la raison, le courage, la prévoyance, par tout ce qu’elle a souffert.

— Vous parlez de moi, bonnes gens, pensa la petite créature en se chauffant les pieds. Je n’entends pas vos paroles, mais je sais bien ce que vous dites. »

Le shrub, versé dans une petite cuiller et goûté avec réflexion, allant fort bien au palais de Jenny, les mains habiles de miss Potterson mêlèrent une certaine dose de cette liqueur avec de l’eau chaude, et mister Riah eut sa part du mélange. Ces préliminaires terminés, l’hôtesse des Portefaix prit lecture de la pièce qui lui avait été remise, et à chaque fois qu’elle leva les yeux, l’attentive Jenny répondit au regard de miss Abbey par un sirotement expressif du shrub.

« Cela prouve, dit miss Potterson, après avoir lu plusieurs fois le papier qu’elle avait à la main, cela prouve, ce qui d’ailleurs n’avait pas besoin de l’être, que Riderhood est un franc scélérat. Je me doutais bien qu’il avait fait le crime à lui tout seul, mais je ne m’attendais pas à voir confirmer le fait. J’ai eu des torts envers Hexam, je le reconnais ; mais aucun à l’égard de sa fille ; à l’époque où les choses étaient au pire, je n’ai jamais douté de Lizzie, et j’ai fait tout mon possible pour la décider à venir chez moi. Je suis désolée d’avoir été dure pour son père, d’autant plus qu’il n’y a pas moyen de réparer cette injustice. Ayez la bonté de communiquer à Lizzie les paroles que je viens de dire, et n’oubliez pas d’ajouter que si elle veut revenir aux Portefaix, elle y trouvera un gîte et une amie qui la recevra de tout son cœur. Elle me connaît depuis longtemps, elle connaît la maison, elle sait la vie qu’elle y mènera. Je suis d’un caractère vif ; les uns disent que je suis prompte et douce, les autres prompte et acide ; les avis sont partagés, cela dépend des circonstances ; voilà tout ce que je peux dire, et il n’en faut pas davantage. »

Mais avant qu’on eût siroté la dernière goutte de shrub, miss Potterson découvrit qu’elle serait bien aise d’avoir une copie de la déclaration de Riderhood. « Ce n’est pas bien long, dit-elle à mister Riah ; cela ne vous ferait peut-être pas grand’chose de me le coucher par écrit. »

Le vieillard s’empressa de mettre ses lunettes, et s’approcha du petit pupitre où miss Abbey conservait les recettes qui faisaient la gloire des Portefaix, et gardait ses échantillons de liqueur. Pas de livres à tenir, les Portefaix ne permettant pas à leurs pratiques d’avoir de compte chez eux.