Page:Dickens - L’Abîme, 1918.djvu/164

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semblait avoir suspendu son activité ; les oreilles et les yeux des voyageurs étaient également troublés par la menace et l’attente d’un changement prochain dans l’état de l’atmosphère et de la montagne ; les indices avant-coureurs de la tempête se rapprochaient, et un lourd silence s’étendait sur toutes choses, à mesure que les nuages amoncelés, ou que le nuage, — car le ciel entier ne faisait plus qu’un nuage, — devenait plus sombre.

Bien que le jour en fût obscurci, la perspective n’était pas absolument effacée. Dans la vallée du Rhône, que nos voyageurs laissaient derrière eux, le fleuve courait à travers mille détours ; cette belle eau limpide leur montrait alors une teinte plombée d’une tristesse navrante. Au loin, bien haut au-dessus de la route, ils apercevaient les glaciers et les avalanches suspendues au-dessus des passages qu’ils allaient franchir. Sur la route s’ouvraient des précipices sans fond et mugissaient des torrents ; de tous côtés s’élevaient les pics gigantesques, et ce paysage immense que n’égayaient point les jeux de la lumière, où pas un rayon de soleil ne glissait, se déroulait distinctement devant les yeux des deux jeunes gens dans toute sa sublime horreur.

Le courage de deux hommes, seuls et sans défense, pourrait certainement faiblir un peu, s’ils avaient à se frayer une route pendant plusieurs milles et plusieurs heures au milieu d’une légion d’ennemis, silencieux et immobiles… ; des hommes comme eux les regardaient d’un œil fixe, le front menaçant ; la peur ne doit-elle pas les gagner d’une atteinte bien