Page:Dickens - L’Abîme, 1918.djvu/22

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prédécesseurs Pebblesson Neveu. Lorsque j’atteignis ma majorité, elle me transmit la part dont elle avait hérité dans cette maison, puis elle racheta pour moi la part de Pebblesson ; elle me laissa tout ce qu’elle possédait, tout, hormis cet anneau de deuil que vous portez au doigt… Elle n’est plus ! Il n’y a pas six mois qu’elle vint un matin au Carrefour des Éclopés pour y lire de ses yeux la nouvelle enseigne : Wilding et Co. Et pourtant elle n’est plus !

— Triste !… fort triste !… — murmura Bintrey, — mais c’est le sort commun à un moment ou à un autre : ne devons-nous pas tous cesser d’être ?

Ce disant, il le prouva bien en achevant de vider la bouteille de Porto. Ce Porto de quarante-cinq ans avait aussi cessé d’être. Bintrey poussa un large soupir.

— Et puisque je l’ai perdue, — reprit Wilding en essuyant ses larmes, — il ne me reste plus qu’à nourrir éternellement son souvenir et mes regrets. La chère femme ! Mon cœur se sentit entraîné vers elle dès la première fois que je la vis ; c’était l’instinct de la nature… je ne pouvais pourtant la prendre alors que pour une dame étrangère. C’était un Dimanche, nous finissions de dîner là-bas aux Enfants Trouvés… Ah ! vous savez bien, Monsieur Bintrey, que je ne rougis point d’avoir été aux Enfants Trouvés. Moi, qui ne me suis jamais connu de père, je désire être un père pour tous ceux qui travaillent sous mes ordres.

— Honnête désir, — fit observer Bintrey.

— C’est pourquoi, — continua Wilding qui s’animait et se noyait même un peu dans le flot montant de son