Page:Dickens - L’Abîme, 1918.djvu/61

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de mauvais goût. Mais vous n’ignorez pas le proverbe Anglais : « Vivre et s’instruire. »

— Vous attachez bien de l’importance à tout cela, — dit le Suisse. — Que diable ! c’est une bonne famille que la vôtre !

Le rire de George Vendale trahit un peu de contrainte.

— J’étais très-attaché à mes parents. Cependant, quand nous avons voyagé ensemble, Monsieur Obenreizer, je commençais à jouir de ce que mon père et ma mère m’avaient laissé. J’en avais la tête un peu troublée, parce que j’étais jeune. J’espère donc avoir alors montré plus d’enfantillage et d’étourderie que d’orgueil.

— Rien que de la franchise, de la franchise de cœur et de langage, et point d’orgueil, — s’écria Obenreizer. — Vous employez de trop grands mots contre vous-même. D’ailleurs, c’est moi qui vous ai amené le premier à me parler de votre famille. Vous souvient-il de cette soirée et de cette promenade sur le lac où les pics neigeux venaient se réfléchir comme dans un miroir ? Partout des roches et des forêts de sapins qui me ramenaient à mon enfance, dont je vous fis un tableau rapide. Rappelez-vous que je vous peignis notre misérable cahute, près d’une cascade que ma mère montrait aux voyageurs ; l’étable où je dormais auprès de la vache ; mon frère idiot assis devant la porte et courant aux passants pour leur demander l’aumône ; ma sœur, toujours filant et balançant son énorme goître ; et moi-même, une pauvre petite créature affamée, battue du matin au soir. J’é-