Page:Dickens - L’Abîme, 1918.djvu/62

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tais l’unique enfant du second mariage de mon père, si toutefois il y avait eu mariage. Après cela, quoi de plus naturel de votre part que de comparer vos souvenirs aux miens et de me dire : « Nous sommes du même âge, et en ce même temps où l’on vous battait, moi j’étais assis dans la voiture de mon père, sur les genoux de ma mère chérie, roulant à travers les opulentes rues de Londres, entouré de luxe et de tendresse. » Voilà quel fut le commencement de ma vie.

Obenreizer était un jeune homme aux cheveux noirs, au teint chaud, et dont la peau basanée n’avait jamais brillé d’aucune rougeur, même fugitive. Les émotions qui auraient empourpré la joue d’un autre homme n’amenaient à la sienne qu’un léger battement à peine visible, comme si la machine qui fait couler et monter le sang ne mettait en mouvement dans les veines de ce jeune homme qu’un flot à demi-desséché. Obenreizer était fortement construit, bien proportionné, avec de beaux traits. Il eût certainement suffi d’en changer presque imperceptiblement la disposition pour les amener à une harmonie qui leur manquait ; mais il aurait été aussi bien difficile de déterminer au juste quel changement il eût fallu faire. Tout d’abord on aurait souhaité à Obenreizer des lèvres moins épaisses, un cou moins massif. Mais ces lèvres et ce cou passaient encore. Ce qu’il y avait de moins agréable dans son visage, c’étaient ses yeux, toujours couverts d’un nuage indéfinissable évidemment étendu là, par un effort de sa volonté. Son regard demeurait ainsi impénétrable à tout le monde