Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/106

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Arthur prit note de cette adresse et donna la sienne. Il avait fait maintenant tout ce qu’il avait espéré faire pour le moment ; seulement il ne voulait pas quitter sa compagne sans l’avoir bien persuadée qu’elle pouvait compter sur lui et sans lui faire promettre de ne pas oublier ses offres.

« Voilà toujours un ami d’inscrit ! reprit-il en remettant son portefeuille dans sa poche. Pendant que je vous ramène chez vous… vous retournez chez vous, n’est-ce pas ?

— Oui, je rentre tout droit à la maison.

— Pendant que je vous ramène… (les mots à la maison avaient sonné désagréablement à son oreille), permettez-moi de vous prier d’être intimement convaincue que vous avez un ami de plus. Je ne fais pas de phrases et ne vous en dirai pas davantage.

— Vous êtes vraiment bien bon pour moi, monsieur, et vous n’avez pas besoin de m’en donner d’autre assurance : j’y crois volontiers. »

Ils revenaient à travers les misérables rues boueuses, passant devant les pauvres et sales boutiques, bousculés par cette foule de regrattiers qui abondent dans les quartiers pauvres. Il n’y avait rien le long de la route qui fût de nature à réjouir aucun de nos cinq sens. Et pourtant cette promenade à travers la pluie, la boue et le vacarme, avait un charme peu ordinaire pour celui qui donnait le bras à cette jeune fille si mignonne, si frêle, si soigneuse. La regardait-il toujours comme une enfant ? Et lui, ne paraissait-il pas bien âgé aux yeux de sa compagne ? N’étaient-ils pas l’un pour l’autre un mystère impénétrable dans cette rencontre prédestinée de leurs existences ? C’est ce qu’il nous importe peu de savoir pour le moment. Toujours est-il qu’Arthur Clennam songea qu’elle avait vu le jour et qu’elle avait été élevée au milieu de ces ruines qu’elle traversait d’un air craintif, et qui lui étaient familières, bien qu’elle y fût déplacée ; il songea à la longue connaissance qu’elle avait faite des ignobles petites misères de la vie, à son innocence, à sa sollicitude pour les autres, à sa jeunesse, et à sa taille enfantine.

Ils avaient gagné High-Street, où se trouvait la prison, lorsqu’une voix s’écria : « Petite mère ! petite mère ! » Dorrit, s’étant arrêtée et retournée, une personne étrange vint d’un air empressé se jeter sur eux, sans cesser de crier : « Petite mère ! » et renversa, en tombant dans la boue, le contenu d’un grand panier de pommes de terre.

« Oh ! Maggy, dit la petite Dorrit, vilaine maladroite ! »

Maggy, ne s’étant fait aucun mal, se releva tout de suite et se mit à ramasser les pommes de terre, occupation dans laquelle elle fut aidée par Dorrit et Clennam. Maggy retrouvait fort peu de ses tubercules ; mais en revanche elle ramassait une grande quantité de boue : néanmoins on finit par les recueillir tous et par les déposer dans le panier. Maggy débarbouilla avec son châle son visage couvert de boue, puis, présentant ce visage à M. Clennam comme un modèle de propreté, lui permit enfin de voir à qui elle ressemblait