Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/123

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c’était un spectacle si inattendu de voir M. Meagles ouvrir d’un coup de pied les battants de la porte, et entraîner dehors son compagnon, qui avait l’air très inoffensif, que Clennam demeura un instant immobile, échangeant avec le concierge un regard de mutuelle surprise. Il se hâta de la suivre et le vit descendre la rue à côté de son adversaire. Arthur eut bientôt rejoint son ancien compagnon de voyage. Le visage irrité que M. Meagles tourna vers lui se rasséréna, dès qu’il reconnut à qui il avait affaire, et il lui tendit amicalement la main.

« Comment vous portez-vous ? s’écria M. Meagles. Comment ça va-t-il ? Je ne fais que d’arriver. Charmé de vous voir !

— Et moi, ravi de vous retrouver.

— Merci, merci !

— Mme Meagles et votre fille ?…

— Se portent à merveille, répondit M. Meagles. Je voudrais seulement que vous m’eussiez rencontré moins animé. »

Quoique la température fût loin d’être chaude, M. Meagles était si échauffé qu’il attirait l’attention des passants, d’autant plus qu’il venait de s’appuyer contre une grille, d’ôter son chapeau et sa cravate pour essuyer vigoureusement son crâne et son visage fumants, ses oreilles et son cou tout rouges, sans se soucier le moins du monde de l’opinion publique.

« Ouf ! reprit M. Meagles, se rhabillant. Cela m’a fait du bien. J’ai moins chaud maintenant.

— Vous venez d’être agacé, monsieur Meagles. Qu’est-ce qu’il y a ?

— Attendez un instant, et je vous le dirai. Avez-vous le temps de faire un tour dans le parc ?

— Autant de tours qu’il vous plaira.

— Eh bien ! venez… Ah ! oui, regardez-le. C’est un individu qui mérite bien qu’on le regarde. »

M. Clennam avait par hasard tourné les yeux vers le criminel que M. Meagles avait saisi au collet d’une manière si furibonde. Ce criminel n’avait rien de remarquable ni dans sa taille ni dans sa mise ; c’était tout bonnement un homme assez court, trapu, ordinaire, dont les cheveux grisonnaient et dont la physionomie était traversée par des lignes profondes que la réflexion y avait gravées comme sur un bois dur. Ses vêtements noirs étaient très convenables, quoique un peu poudreux ; il avait l’air de quelque industriel passé maître dans son état. Il tenait à la main un étui à lunettes qu’il tournait et retournait, tandis qu’on parlait de lui, avec cette souplesse de pouce qu’on ne rencontre guère que chez les gens habitués à manier des outils.

« Restez avec nous, dit M. Meagles d’un ton menaçant, et je vais vous présenter tout à l’heure. Allons, en route ! »

Tandis qu’ils se dirigeaient vers le parc par le chemin le plus court, Clennam, assez étonné, se demanda ce que l’inconnu, qui obéissait avec la plus grande docilité, pouvait avoir fait. À en juger