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LA PETITE DORRIT

cette moustache de se relever et ce nez de s’abaisser comme ils faisaient en ce moment.

« Allons ! voilà que le hasard m’a encore jeté dans ta société ! Par le ciel ! tant mieux pour toi ! tu en profiteras. J’ai besoin d’un long repos. Tu ne me réveilleras pas demain matin, entends-tu ? »

Jean-Baptiste répondit qu’il le laisserait dormir en paix, et, lui souhaitant une bonne nuit, souffla la chandelle. Il était naturel de supposer que la première chose que l’Italien allait faire serait de se déshabiller : mais il fit tout le contraire et s’habilla des pieds à la tête, à l’exception de ses souliers. Sa toilette achevée, il s’allongea sur son lit, ramena la couverture sur lui, et, gardant sa redingote toujours attachée à son cou, se disposa à passer ainsi la nuit.

Lorsque Cavallettoo se réveilla en sursaut, le véritable point du jour commençait à jeter un coup d’œil sur l’auberge à laquelle il avait servi de parrain. Le petit Italien se leva, tourna la clef dans la serrure avec beaucoup de précaution et descendit, ses souliers à la main. Il n’y avait encore rien d’éveillé, si ce n’est un parfum de café, de vin, de tabac et de sirop ; et le petit comptoir de madame, mais solitaire. Comme Cavaletto avait réglé avec madame la veille au soir, et qu’il ne tenait pas à rencontrer quelqu’un, tout ce qu’il demandait, c’était de pouvoir mettre ses souliers, son havre-sac, ouvrir la porte et se sauver.

C’est ce qu’il fit. Aucun bruit, aucune voix ne se fit entendre lorsqu’il ouvrit la porte ; nulle tête de Méduse entourée d’un foulard déchiré n’apparut à la croisée d’en haut. Lorsque le disque du soleil se fut montré tout entier au-dessus du plat horizon, faisant scintiller la longue route boueuse et pavée avec sa monotone avenue de petits arbres, un point noir s’avançait le long de ce chemin, pataugeant au milieu des brillantes flaques d’eau laissées par la pluie. Ce point noir n’était autre que Jean-Baptiste Cavaletto qui fuyait son protecteur.






CHAPITRE XII.

La cour du Cœur-Saignant.


La cour du Cœur-Saignant est située dans Londres même, bien qu’elle se trouve sur la vieille route rurale conduisant au faubourg célèbre où, du temps de William Shakspeare, auteur et acteur, le roi avait des maisons de chasse, mais où il n’existe plus aujourd’hui de gibier que pour les chasseurs d’hommes. L’endroit avait beaucoup perdu et son aspect était bien changé, mais il avait néanmoins conservé un reflet de son ancienne splendeur. Deux ou trois