Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/168

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— Voyons un peu ce qui en est, » répliqua le chirurgien continuant son examen avec un goût décidé pour son art, avant de donner un avis.

Après avoir palpé la jambe avec un doigt, puis avec deux doigts, avec une main, puis avec les deux mains, dessus et dessous, par en haut et par en bas, dans cette direction-ci, puis dans celle-là, tout en faisant remarquer d’un ton approbateur les symptômes les plus intéressants à un autre gentleman qui n’avait pas tardé à le rejoindre, le chirurgien frappa enfin sur l’épaule du patient, et lui dit :

« On peut raccommoder ça. Il en reviendra très bien. C’est assez difficile, mais nous ne lui demandons pas de nous faire le sacrifice de sa jambe cette fois-ci. »

Clennam expliqua ces paroles consolantes au blessé, qui se montra plein de reconnaissance, et, dans sa vivacité italienne, baisa plusieurs fois la main de l’interprète et celle du chirurgien.

« C’est une blessure sérieuse, je présume ? dit Clennam.

— Ou…i, répliqua le chirurgien, avec la satisfaction rêveuse d’un peintre qui contemple l’œuvre qui s’épanouit sur son chevalet, oui, ça n’est pas mal. Il y a une double fracture au-dessus du genou et une dislocation au-dessous, toutes deux très belles en leur genre. »

Le chirurgien donna encore une tape amicale sur l’épaule du malade, comme pour lui dire que c’était un bon garçon, un garçon digne des plus grands éloges de s’être cassé la jambe d’une manière si intéressante pour la science chirurgicale.

« Il parle français ? demanda le chirurgien.

— Oh ! oui, il parle français.

— Il ne sera pas embarrassé ici, dans ce cas… Vous n’avez plus qu’un peu de souffrance à endurer comme un brave, mon ami, et à vous féliciter que votre jambe ne soit pas dans un plus mauvais état, ajouta-t-il en français ; dans quelque temps vous marcherez à merveille. Maintenant, voyons un peu si nous ne nous sommes pas fait mal ailleurs, et dans quel état sont nos côtes. »

Nous ne nous étions pas fait mal ailleurs et nos côtes étaient en bon état. Clennam attendit qu’on eût fait vite et bien tout ce que l’on pouvait faire. Le pauvre étranger abandonné l’ayant supplié de ne pas s’éloigner, il resta auprès du lit où on l’avait transporté jusqu’à ce qu’il se fût endormi ; et avant de partir, il écrivit quelques lignes au crayon, où il lui promettait de revenir le lendemain dès qu’il se réveillerait.

Tous ces préparatifs durèrent si longtemps, que onze heures sonnaient au moment où il sortait de l’hôpital. Il avait pris un logement provisoire près de Covent-Garden, et il rentra chez lui par le chemin le plus court, c’est-à-dire par Snow-Hill et Holborn.

Abandonné de nouveau à lui-même, après les mouvements de sollicitude et de compassion qu’avait excités chez lui cette dernière rencontre, il se trouvait naturellement un peu disposé à la rêverie.