Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/206

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Voyez un peu l’impudent coquin (c’est-à-dire si nous n’avions pas pris cette sage résolution), d’appeler ce jardin un paradis ! Il ne l’avait appelé un paradis que parce qu’il voyait venir Chérie et qu’il avait voulu lui faire entendre qu’il la regardait comme un ange… Que le diable l’emporte !

Ah ! comme les yeux de Chérie brillèrent ! Comme elle parut contente ! comme elle caressa le chien et comme le chien la connaissait bien ! Que de choses on devinait dans ce teint plus animé, dans ce trouble, dans ces yeux baissés, dans ce bonheur dissimulé ! Clennam n’avait jamais vu Minnie si joyeuse. Non qu’il y eût aucun motif pour qu’il pût ou voulût jamais lui voir cet air-là, ou qu’il l’eût jamais espéré, mais enfin… il ne l’avait jamais vue si joyeuse !

Il se tenait à quelque distance d’eux. Ce Gowan, lorsqu’il avait parlé de paradis, s’était avancé vers elle et lui avait pris la main. Le chien avait posé ses grosses pattes sur le bras de Chérie et sa tête contre la chère poitrine de la jeune fille. Elle avait ri et leur avait souhaité la bienvenue ; et elle avait fait trop fête au chien, beaucoup, beaucoup trop, c’est-à-dire en supposant qu’il se fût trouvé là un spectateur qui eût été amoureux d’elle.

Elle se dégagea alors, et s’avança vers Clennam, lui tendit la main, lui dit bonjour et se disposa gracieusement à lui prendre le bras jusqu’à la maison. Ce Gowan n’y trouva rien à redire. Non, non, il était trop sûr de son fait.

Un nuage obscurcit les traits ordinairement joyeux de M. Meagles, lorsque les trois promeneurs (quatre, y compris le chien, et c’était le personnage le plus désagréable de la société, à une seule exception près) rentrèrent pour déjeuner. Ni ce nuage, ni la légère inquiétude de Mme Meagles, lorsque cette dame dirigea les yeux vers eux, n’échappèrent à Clennam.

« Eh bien, dit M. Meagles, étouffant quelque chose comme un soupir, comment allez-vous ce matin ?

— Mais pas plus mal qu’à l’ordinaire, monsieur. Comme Lion et moi nous étions décidés à ne rien perdre de notre visite hebdomadaire, nous nous sommes levés de bonne heure et nous sommes venus à Kingstown, où j’ai établi pour le moment mon quartier général, et où je suis en train de terminer une esquisse ou deux. »

Puis il raconta comment il avait rencontré M. Clennam dans le bac, et comment ils avaient traversé la rivière ensemble.

« Mme Gowan se porte bien ? » demanda Mme Meagles.

(Clennam écouta attentivement.)

« Ma mère va bien, je vous remercie. »

(Clennam n’écouta plus, et Gowan continua :)

« J’ai pris la liberté d’ajouter aujourd’hui un convive de plus à votre dîner de famille, et j’espère que cela ne dérangera ni vous ni Mme Meagles. Je ne pouvais guère faire autrement, expliqua Gowan en se tournant vers son hôte. Le jeune homme m’a écrit