Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/240

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

yeux les plus habitués au luxe. La jeune fille regarda sa sœur d’un air ébahi, et lui aurait adressé une question si Fanny n’avait pas froncé les sourcils en lui indiquant une portière de tapisserie qui cachait l’entrée d’un autre salon. Un moment après, la portière s’agita, et une dame, dont la main chargée de bagues venait de l’écarter, la laissa se refermer derrière elle et entra.

La dame ne sortait pas toute jeune et toute fraîche des mains de la nature, mais elle sortait jeune et fraîche des mains de sa femme de chambre. Elle avait de beaux grands yeux qui ne disaient rien, de beaux grands cheveux noirs qui n’en disaient pas davantage, et de belles épaules non moins insipides. Soit qu’elle se crût enrhumée, soit qu’elle trouvât que cet ornement allait bien à son genre de beauté, elle portait autour de sa tête un riche filet rattaché sous le menton. Et si jamais il a existé un beau menton qui ne dise rien, auquel nulle main d’homme n’a jamais été tentée de faire une politesse, c’était bien ce menton serré et emprisonné par cette bride de dentelle.

« Madame Merdle, dit Fanny, faisant l’office de maîtresse des cérémonies et d’introductrice, ma sœur, madame.

— Je suis charmée de voir votre sœur, mademoiselle Dorrit. Je ne me rappelais pas que vous eussiez une sœur.

— Je ne vous avais pas dit que j’en eusse une.

— Ah ! Ah ! » Mme Merdle courba le petit doigt de sa main gauche, comme qui dirait : « Je vous y prends ! Je savais bien que vous ne m’en aviez rien dit ! »

Tous les gestes de Mme Merdle étaient confiés à sa main gauche, parce que ses deux mains ne faisaient pas la paire, la main gauche était de beaucoup la plus blanche et la plus potelée. Ensuite elle ajouta : « Asseyez-vous, » et s’arrangea voluptueusement dans un nid de coussins pourpre et or, sur une ottomane peu éloignée du perroquet.

« Une artiste aussi ? » demanda Mme Merdle, regardant la petite Dorrit à travers son lorgnon.

— Non, répondit Fanny.

— Non ? répéta Mme Merdle laissant retomber son lorgnon. En effet, elle n’a pas l’air d’une artiste. Charmante, mais pas l’air artiste.

— Ma sœur, madame, dit Fanny, chez laquelle il y avait un singulier mélange de déférence et de hardiesse, m’a prié de lui dire, comme cela doit se faire entre sœurs, comment j’avais eu l’honneur de vous connaître. Et comme je vous avais promis de vous faire encore une visite, j’ai cru que je pouvais prendre la liberté de l’amener avec moi, dans l’espérance que vous voudrez peut-être bien lui dire ce qu’elle tient à savoir. Je désire qu’elle le sache, et peut-être voudrez-vous bien le lui dire.

— Croyez-vous qu’à l’âge de votre sœur… insinua Mme Merdle.

— Elle est beaucoup plus âgée qu’elle ne le paraît, dit Fanny ; presque aussi âgée que moi.