Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/255

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de ses savants confrères, mais si on dépassait, de l’épaisseur d’un cheveu, les bornes imposées par la nature, on devenait la victime de l’indigestion et des idées noires. Or, sans vouloir pénétrer en intrus dans le temple sacré et mystérieux de la médecine, il croyait (avec la révérence à l’usage de MM. les jurés et un mouvement théâtral du lorgnon persuasif) que M. Merdle se trouvait dans ce cas. La fleur de l’Épiscopat dit que, dans sa jeunesse, ayant contracté, pendant fort peu de temps, l’habitude d’écrire un sermon tous les samedis (habitude que tous les fils de l’Église feraient bien d’éviter), il avait fréquemment éprouvé un accablement qu’il attribuait à un excès de fatigue intellectuelle ; heureusement qu’un jaune d’œuf battu par la bonne dame chez qui il demeurait alors, avec un verre de vieux xérès, un peu de muscade et du sucre en poudre, ne manquait jamais d’agir comme un charme. Sans vouloir indiquer un remède aussi simple à un si habile professeur du grand art de guérir, il se permettrait de demander à son bon ami le docteur si, la fatigue de M. Merdle étant causée par des calculs compliqués trop prolongés, il ne serait pas possible (humainement parlant) de rendre le ton à ses esprits abattus, au moyen de quelque doux, mais généreux stimulant ?

« Oui, dit le médecin, oui, vous avez tous les deux raison. Mais je vous dirai que je ne vois pas du tout que M. Merdle soit malade. Il est fort comme un rhinocéros, il digère comme une autruche, il absorbe comme une huître. Quant aux nerfs, M. Merdle est d’un tempérament paisible et ne s’émeut pas facilement : aussi invulnérable, à mon avis, que le divin Achille. Vous vous étonnerez sans doute qu’un homme ainsi fait puisse se croire indisposé. Mais toujours est-il que je ne vois pas ce qu’il a. Peut-être a-t-il quelque maladie inconnue et impénétrable. Je n’en sais rien. J’affirme seulement que jusqu’à présent je n’ai point réussi à la découvrir. »

Il n’y avait pas ombre de la maladie de M. Merdle, sur la poitrine qui servait en ce moment de montre d’étalage à une masse de pierres précieuses, et rivalisait avec un grand nombre de bijoux non moins superbes : il n’y avait pas ombre de la maladie de M. Merdle sur le jeune Sparkler, qui allait d’un salon à l’autre comme une âme en peine, cherchant une jeune fille d’une réputation problématique, et qui ne fît pas trop sa bégueule ; il n’y avait pas ombre de la maladie de M. Merdle sur les Mollusques et les des Échasses, dont il y avait là des colonies entières, ni sur aucun des invités. Il n’y en avait même qu’une ombre très faible sur M. Merdle, qui circulait dans la foule, recevant des hommages de chacun.

La maladie de M. Merdle ! La Société et M. Merdle étaient liés par tant d’intérêts communs qu’on avait peine à se figurer que le banquier gardât sa maladie, s’il en avait une, pour lui tout seul. Avait-il réellement cette maladie inconnue et impénétrable, et quelque médecin parvint-il enfin à la découvrir ? Patience ! et