Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/286

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qui n’en fait jamais d’autres, vint, avec son air bénévole, me dire qu’Arthur Clennam m’attendait en bas… Je descendis et je le vis… Ne me demandez pas ce que j’éprouvai en le revoyant… sachez seulement que je le retrouvai garçon et toujours le même ! »

Le sombre mystère dont Flora s’enveloppa à ce moment de son récit aurait pu arrêter d’autres doigts que les doigts agiles qui cousaient auprès d’elle. Mais ceux de la jeune couturière ne s’arrêtèrent pas et sa petite tête, toujours à son affaire, resta penchée sur son ouvrage.

« Ne me demandez pas, poursuivit Flora, si je l’aime encore ou si je suis encore aimée ou comment tout cela doit finir et à quelle époque ; des regards scrutateurs nous observent, lui et moi ; il se peut que nous soyons destinés à languir chacun de notre côté et à ne jamais être unis… Pas un mot, pas un signe, pas un coup d’œil ne doit nous trahir ; il nous faut demeurer aussi muets que la tombe ; ne vous étonnez donc pas si vous me voyez traiter Arthur avec une froideur apparente, et si Arthur, de son côté, imite mon exemple. Des raisons fatales nous obligent à dissimuler ; il suffit que nous nous comprenions. Silence ! »

Flora dit tout cela avec autant de véhémence étourdie que si elle en eut été réellement convaincue. Et vraiment elle y croyait tout à fait dès qu’elle s’était monté la tête pour prendre son rôle de sirène.

« Silence ! répéta Flora. Maintenant vous savez tout, il n’y a plus de secret entre nous, silence ! Je veux donc, pour l’amour d’Arthur, être toujours une amie pour vous, ma chère enfant, et vous pouvez compter sur moi. »

Les doigts agiles mirent leur ouvrage de côté et la petite couturière se leva pour baiser la main de Flora.

« Vous avez bien froid, dit celle-ci avec ce fond de bonté qui lui était naturel et qui lui allait beaucoup mieux que le reste ; ne travaillez plus d’aujourd’hui… je suis sûre que vous êtes indisposée… vous n’êtes pas d’une forte santé.

— Ce n’est rien, je suis seulement un peu émue de toute votre bonté, et de la bonté qu’a eue M. Clennam de me recommander à une dame qu’il aime depuis si longtemps.

— Quand à cela, ma chère, répondit Flora toujours disposée à redevenir sincère, pour peu qu’elle se donnât le temps de réfléchir, laissons son amour de côté pour le quart d’heure ; car, après tout, je n’en jurerais pas ; mais peu importe, reposez-vous un peu sur le canapé !

— J’ai toujours été assez forte pour faire ce que j’ai entrepris de faire et je vais être bientôt remise, répliqua la petite Dorrit avec un faible sourire. C’est la reconnaissance qui m’accable, voilà tout. Si je m’asseyais à la croisée un instant, cela se passerait. »

Flora ouvrit une croisée, fit asseoir la jeune fille dans un fauteuil tout auprès, puis se retira discrètement vers la cheminée. Il faisait du vent, et la brise, qui vint rafraîchir le visage de la petite