Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/307

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— Ah oui… c’est juste ! s’écria Clennam avec une vivacité inaccoutumée. Oui, oui… je l’avais oublié.

— Comme je vous l’ai déjà dit, reprit Daniel Doyce, il est toujours là le dimanche.

— Oui, oui ; je me rappelle maintenant, »

Daniel Doyce continuant à s’essuyer le front, répéta hautement : « Oui. Il était là… Il était là. Et son chien aussi.

— Mlle Meagles semble très-attachée à… au chien, remarqua Clennam.

— Très-attachée, en effet. Plus attachée au chien que je ne le suis à l’autre.

— Vous voulez dire, à monsieur…

— Je veux dire à M. Gowan, tout bonnement, répliqua Daniel Doyce. »

Il y eut dans la conversation un intermède dont Clennam profita pour remonter sa montre.

« Peut-être êtes-vous un peu prompt à juger les gens, dit-il enfin. Nos jugements… je parle en thèse générale…

— Bien entendu.

— Nos jugements sont si sujets à être influencés par une foule de considérations qui, presque à notre insu, sont injustes, que nous devons nous tenir en garde contre trop de précipitation. Par exemple, ce monsieur…

— Gowan, ajouta tranquillement Doyce, à qui semblait dévolue la tache de prononcer ce nom.

— … Est jeune et joli garçon, plein de gaieté et de vivacité, et il a une grande expérience du monde. Il serait difficile de fonder sur une raison impartiale la répulsion qu’il pourrait inspirer.

— Ce n’est pas difficile pour moi, toujours, Clennam, répliqua son associé. Je vois l’inquiétude qu’il apporte aujourd’hui, et je vois le chagrin qu’il apportera plus tard dans la demeure de mon vieil ami. Je vois que plus il se rapproche de Mlle Mina et que plus il la regarde, plus il creuse des rides profondes au front de mon ami. En un mot, je le vois enveloppant d’un filet la belle et aimante enfant qu’il ne rendra jamais heureuse.

— Nous ne savons pas, dit Clennam, du ton d’un homme qui souffre, nous ne savons pas s’il ne la rendra pas heureuse.

— Nous ne savons pas non plus si la terre durera encore cent ans, mais néanmoins la chose nous paraît assez probable.

— Allons, allons ! reprit Clennam, ayons bon espoir et tâchons au moins de rester justes, si rien ne nous oblige ici de nous montrer généreux. Nous ne dénigrerons pas ce jeune homme parce qu’il a su plaire à la charmante jeune fille dont il ambitionne la main ; nous ne mettrons pas en question le droit naturel qu’a Mlle Mina de donner son cœur à l’homme qu’elle en croit digne.

— C’est possible, mon ami, c’est possible : mais il est tout aussi possible que Mlle Mina soit trop jeune, trop confiante, trop gâtée