Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/308

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et ne connaisse pas assez le monde pour être à même de faire un bon choix.

— Ce serait un mal, en tout cas, auquel il ne serait pas en notre pouvoir de remédier. »

Daniel Doyce secoua gravement la tête et répondit : « Je le crains.

— Par conséquent, continua Clennam, il faut nous décider à regarder comme indigne de nous de dire du mal de M. Gowan. Ce serait une méprisable satisfaction que de céder à l’antipathie que nous pourrions éprouver pour lui. Et j’ai résolu, pour ma part, de ne pas en dire de mal.

— Je ne suis pas si sûr de moi, Clennam : aussi je me réserve le droit de ne pas faire son éloge, répliqua l’autre. Mais si je ne suis pas sûr de moi, je suis sûr de vous, mon ami, et j’admire votre droiture et je la respecte. Bonsoir, mon ami et cher associé ! »

En disant cela, il lui donna une poignée de main, comme s’il y eût eu quelque chose de plus sérieux au fond de leur conversation, et il se quittèrent.

Avant cet entretien, les deux associés avaient rendu plusieurs visites à la famille Meagles, et ils avaient remarqué que la moindre allusion à M. Henry Gowan ramenait le nuage qui avait assombri le visage souriant de M. Meagles le matin où Arthur avait par hasard rencontré l’artiste au bord de la rivière. Si Clennam avait laissé pénétrer dans son cœur la passion défendue, cette époque eût peut-être été une rude épreuve pour lui ; mais comme il s’en était bien gardé, il n’en souffrit pas… pas le moins du monde.

De même, s’il eût donné accès dans son cœur à cet hôte exilé, la lutte morale qu’il aurait soutenue en silence pendant ce temps-là aurait eu quelque chose de méritoire. Peut-être aussi y aurait-il eu un certain mérite dans l’effort continuel qu’il aurait fait pour ne pas obtenir des résultats égoïstes par les moyens bas et odieux que son expérience lui avait appris à détester, et pour s’appuyer au contraire sur un principe élevé d’honneur et de générosité. Peut-être n’y aurait-il pas eu moins de mérite non plus dans sa résolution de ne pas même éviter la demeure de M. Meagles, de peur qu’en cherchant, dans son intérêt, à s’épargner une angoisse, il ne causât le plus léger chagrin à la jeune fille, qui serait ainsi devenue la cause d’une absence que M. Meagles pourrait regretter. Peut-être y aurait-il encore eu quelque mérite dans la modeste franchise avec laquelle Arthur se rappelait toujours, par comparaison, l’âge mieux assorti de M. Gowan et ses brillantes qualités d’homme du monde. Peut-être, pour faire tout cela et plus encore avec beaucoup de simplicité et avec une calme et courageuse constance, tandis qu’une angoisse secrète, les chagrins de sa vie passée, le faisaient cruellement souffrir, aurait-il eu besoin d’une certaine force de caractère, qui lui aurait fait honneur. Mais, grâce à la détermination qu’il avait prise, Arthur ne pouvait