Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/310

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malgré tout ! s’écria Gowan avec un chaleureux enthousiasme. Quel délicieux, excellent, aimable monde !

— Je croyais, dit Clennam, que le principe dont vous venez de parler était spécialement adopté par…

— Par les Mollusques ? interrompit Gowan en riant.

— Par les hommes d’État qui daignent diriger le ministère des Circonlocutions.

— Ah ! mais ne dites pas de mal des Mollusques, reprit Gowan, rien de nouveau, ce sont de charmantes gens ! Jusqu’à ce petit Clarence, l’idiot de la famille, qui est le plus agréable et le plus ravissant petit imbécile que l’on ait jamais vu ! Par Jupiter, il a d’ailleurs une sorte d’habileté qui vous étonnerait !

— Beaucoup, répondit Clennam, d’un ton sec.

— Et après tout, continua Gowan (qui avait une façon de juger les choses qui les réduisait toutes à la même valeur), bien que je ne puisse nier que le ministère des Circonlocutions doive finir par causer la ruine de notre pays, il faut se rappeler que la catastrophe n’arrivera pas de notre temps… et c’est, au bout du compte, une bonne école pour former de vrais gentlemen.

— Une école très-dangereuse, très-coûteuse et qui ne satisfait guère, je le crains, les gens qui payent fort cher le droit d’y entretenir des élèves, dit Clennam en secouant la tête.

— Ah ! vous êtes un terrible homme ! répondit Gowan d’un ton léger. Je comprends que vous ayez presque fait perdre la tête à ce petit ânon de Clarence, qui est le plus estimable des crétins, et que j’aime de tout mon cœur. Mais c’est assez nous occuper de lui. Je voudrais vous présenter à ma mère, monsieur Clennam. Soyez donc assez bon pour m’en donner l’occasion. »

Si Clennam se fût trouvé dans la situation d’esprit de Personne, cette invitation lui aurait semblé la chose du monde la moins désirable, et il n’aurait pas su comment s’y prendre pour la refuser.

« Ma mère vit de la façon la plus simple dans ce sombre donjon de briques rouges qu’on nomme le château de Hampton-Court, poursuivit Gowan. Si vous voulez choisir votre jour et me dire quand vous me permettrez de vous mener dîner chez elle, vous serez assommé, mais ma mère sera charmée. Voilà la pure vérité. »

Que répondre à cela ? Il y avait dans le caractère réservé de Clennam un grand fonds de simplicité (prenez ce mot dans son sens le plus favorable), parce qu’il n’avait pas cette expérience qui blase un homme. Aussi, dans sa simplicité modeste, il se mit à la disposition de M. Gowan et on fixa le jour. Ce fut un jour bien triste pour l’invité, qui partit néanmoins pour Hampton-Court avec son introducteur.

Les vénérables habitants de ce vénérable édifice paraissaient (à cette époque) y vivre comme auraient pu le faire dans leur camp une bande de bohémiens civilisés. L’établissement des locataires y avait un aspect provisoire, comme s’ils comptaient décamper dès qu’ils obtiendraient ailleurs un logis plus commode ; il était facile