Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/349

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« Très-bien, monsieur, dit M. Flintwinch. Prenez un siège. Tout ce que nous pourrons faire pour vous obliger… notre maison est peu remuante, un peu arriérée, mais solide, monsieur… nous serons heureux de le faire. Je vois, d’après la date de cette lettre, que l’avis n’a pas encore eu le temps de nous parvenir. Peut-être êtes-vous arrivé par la malle qui nous apporte la lettre d’avis.

— Oui, monsieur, je viens d’arriver par cette malle, répondit M. Blandois passant sa main blanche sur son nez recourbé, ma tête et mon estomac me le prouvent assez, car ces deux parties de mon individu ont été torturées par ce détestable, cet abominable temps d’orage. Vous me voyez dans le costume que j’avais en descendant du paquebot, il y a une demi-heure à peine. Je comptais pouvoir me présenter ici quelques heures plus tôt et alors je n’aurais pas eu à vous demander pardon… veuillez accepter mes excuses… de m’être présenté à une heure aussi tardive et d’avoir effrayé… pardon encore une fois, j’oubliais qu’elle ne s’effraye pas… d’avoir dérangé l’estimable malade qui veille là-haut dans sa chambre. »

L’impudence et un certain air d’autorité font toujours tant d’effet que Jérémie Flintwinch lui-même commença à trouver à ce monsieur des façons très-distinguées. Il n’en devint pas moins revêche cependant ; il se contenta de se gratter le menton en demandant :

« Que puis-je faire pour M. Blandois, maintenant que l’heure des affaires est passée ?

— Ma foi, répondit ce gentilhomme haussant les épaules cachées par un lourd manteau, il faut que je change de toilette, que je mange, que je boive et que je trouve à me loger. Ayez l’obligeance de m’indiquer (je suis tout à fait étranger dans cette ville, et je ne regarde pas à la dépense) où je puis être hébergé jusqu’à demain. Plus l’hôtel sera voisin, mieux cela vaudra. À deux pas si c’est possible.

— Je ne connais, dans les environs, aucun hôtel qui convienne à un gentleman de vos habitudes… commençait M. Flintwinch, quand M. Blandois l’interrompant :

— Que diable me parlez-vous de mes habitudes, mon cher monsieur ? dit-il en faisant craquer ses doigts. Un citoyen cosmopolite n’a pas d’habitudes. Je ne nierai pas que je suis un gentilhomme à ma petite façon ; mais, par le ciel ! je ne nourris pas de préjugés incommodes. Une chambre bien propre, un dîner bien chaud, une bouteille de vin que je puisse boire sans risquer de m’empoisonner, voilà tout ce qu’il me faut pour ce soir. Mais il me le faut sans que je sois obligé de faire un pas de trop pour me le procurer.

— Dans ce cas, dit M. Flintwinch avec plus de décision que d’habitude, tandis que son regard rencontrait pour un instant les yeux brillants de M. Blandois qui avaient quelque chose d’inquiet ; il y a ici près une taverne que je puis vous recommander ; mais cette taverne n’a rien de distingué…