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Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/355

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ingurgitait de la même façon qu’auparavant, les yeux toujours fixés sur la malade.

« Cette fois, monsieur, vous n’avez rien à redouter pour votre repos, répondit Mme Clennam. Ces lettres à ce que je crois, ne forment pas les initiales d’un nom.

— Celles d’une devise, alors, remarqua M. Blandois, en passant.

— D’une phrase. Cela veut dire, si je ne me trompe : N’oubliez pas !

— Et naturellement, continua M. Blandois, replaçant la montre sur la table et retournant à sa place, vous n’oubliez pas. »

Jérémie, finissant son thé, non-seulement avala une gorgée plus abondante que celles qu’il avait ingurgitées jusqu’alors, mais resta la tête rejetée en arrière et sans retirer la tasse de ses lèvres, tandis qu’il continuait à fixer les yeux sur Mme Clennam. Celle-ci, avec la rigidité de traits et la puissance de concentration dans laquelle elle paraissait recueillir toute sa fermeté ou toute son agitation, et qui étaient chez elle ce que les gestes sont chez les autres, répondit d’un ton ferme et délibéré :

« Non, monsieur, je n’oublie pas. Ce n’est pas le moyen d’oublier, que de mener une vie aussi monotone que la mienne l’a été depuis bien des années. Ce n’est pas le moyen d’oublier, que de mener une vie de punition volontaire. On ne se sent guère disposé à oublier lorsqu’on sait que l’on a… comme tous les enfants d’Adam… des péchés à expier et sa paix à faire avec le Seigneur. Aussi n’ai-je pas cette faiblesse, non, je n’oublie pas ni ne désire oublier. »

M. Flintwinch qui, depuis une minute, secouait le résidu de son thé en imprimant un mouvement circulaire à sa tasse, avala ce reste d’un trait et posa la tasse sur le plateau, comme un homme qui en a assez ; cela fait, il regarda M. Blandois comme pour lui demander : « Eh bien ! qu’est-ce que vous dites de ça ? »

« J’avais exprimé toutes ces idées, madame, répondit M. Blandois : avec son salut le plus insinuant, sa main blanche sur son cœur, dans le mot naturellement, que je suis fier d’avoir eu le bonheur et l’intelligence (franchement, ce n’est pas l’intelligence qui manque à Blandois) de rencontrer.

— Pardonnez-moi, monsieur, répondit Mme Clennam, si je doute qu’il soit bien probable qu’un homme du monde, aimant le changement et le plaisir, habitué à courtiser et à se voir courtiser…

— Oh madame ! vous me flattez !

— … Si je doute qu’il soit probable qu’une personne de votre caractère puisse deviner ce qui regarde le mien dans les circonstances où je me trouve. Sans vouloir vous exposer toute une doctrine (elle jeta un coup d’œil vers la rangée de livres secs et ternes qui se trouvaient auprès d’elle)… car vous êtes maître de faire ce que vous voulez, et les conséquences en retomberont sur votre propre tête… je dirai ceci : Je ne prends pour guides que des pilotes infaillibles, avec lesquels je ne saurais faire naufrage… avec