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Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/380

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semblait plutôt se parler à elle-même que répondre à Clennam. Cela m’étonnait un peu.

— Mais, poursuivit Arthur (qui sentit se réveiller en lui le sentiment qu’il avait éprouvé dans la sombre avenue de la soirée des roses, le sentiment qu’il se faisait déjà vieux et qu’il en avait fini avec les tendresses de la vie), j’ai fini par reconnaître mon erreur, et cela m’a donné un peu à réfléchir… ou plutôt j’y ai beaucoup réfléchi et je suis devenu plus sage. Grâce à ma sagesse, j’ai pu compter le nombre de mes années et penser à ce que je suis. J’ai regardé en arrière, puis en avant. J’ai vu que mes cheveux ne tarderaient pas à grisonner. J’ai vu que j’avais gravi le montant de la colline, que j’avais dépassé le plateau qui se trouve au sommet et que je redescendais rapidement l’autre côté de la glissoire. »

S’il avait su la poignante douleur que ces paroles infligeaient au cœur patient de la petite Dorrit ! Et cela, quand il n’avait d’autre intention que de la mettre à son aise et de lui rendre service.

« J’ai vu que le jour où de pareilles choses auraient pu être bonnes et gracieuses pour moi, heureuses pour moi ou pour une autre, était passé pour ne plus revenir ! »

Oh ! s’il avait su, s’il avait su ! s’il avait pu voir le poignard qu’il tenait à la main et les cruelles blessures qu’il faisait au cœur fidèle de sa petite Dorrit !

« Tout cela est fini et je n’y veux plus penser. Pourquoi ai-je parlé de ces choses à ma petite Dorrit ? Pourquoi vous ai-je montré, mon enfant, combien il y a d’années entre nous et vous ai-je rappelé que j’ai le double de votre âge ?

— Parce que vous avez confiance en moi, je l’espère. Parce que vous savez que rien ne saurait vous toucher, sans me toucher également ; que rien ne saurait vous rendre heureux ou malheureux sans m’affecter de la même manière, moi qui vous suis si reconnaissante. »

Il entendit trembler sa voix, il vit son visage sincère, il vit ce regard bleu qui ne pouvait mentir, il vit ce sein haletant qui se serait volontiers jeté au-devant de lui pour recevoir une blessure qui lui aurait été destinée, en criant : « je l’aime, » et il ne soupçonna pas un seul instant la vérité. Non. Il ne vit en elle qu’un petit être dévoué, en souliers usés, en robe fanée, habitant une prison ; qu’une enfant faible de corps, mais d’un courage héroïque. La lumière qui éclairait à ses yeux l’histoire domestique de la jeune fille empêchait Clennam de voir autre chose.

« Certainement, ma petite Dorrit, ce sont là quelques-unes de mes raisons, mais j’ai encore un motif. Ma position, mon âge ne me rendent que plus propre à devenir votre ami, votre conseiller… plus digne de votre confiance, veux-je dire. La légère timidité que vous pourriez éprouver vis-à-vis d’un autre, devrait disparaître devant un ami de mon âge. Pourquoi vous êtes-vous tenue à l’écart depuis quelque temps ? Dites-le moi.

— Je suis mieux ici qu’ailleurs. Ma place est ici où je puis être