Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/384

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mon absence, et il ne faut pas qu’on s’en aperçoive… N’est-ce pas, mademoiselle Dorrit ? »

Il semblait prendre un plaisir insatiable à l’appeler en témoignage et à la contempler, tout en redressant ses cheveux hérissés sur sa tête, ce qui lui donnait l’air d’un cacatoès en deuil.

« Il n’y a pas une demi-heure que je suis ici. J’ai su que M. Dorrit occupait le fauteuil de la présidence, et je me suis dit : « Il faut que j’aille l’aider. » Dans ce moment-ci, je devrais être à ramasser mes loyers dans la cour du Cœur Saignant… mais bah ! Je les tracasserai tout aussi bien demain… N’est-ce pas, mademoiselle Dorrit ? »

Ses petits yeux noirs paraissaient briller d’une lueur électrique. Ses cheveux de plus en plus ébouriffés semblaient aussi dégager des étincelles. Il était tellement chargé d’électricité qu’on aurait pu faire étinceler et pétiller toute partie de sa peau de chat à laquelle on aurait présenté un corps conducteur.

« On trouve ici une société fort distinguée, reprit Pancks, n’est-ce pas, mademoiselle Dorrit ? »

Elle avait presque peur de lui et ne savait que répondre. Il se mit à rire en faisant un signe de tête à Clennam.

« Ne faites pas attention à lui, mademoiselle Dorrit. Il en est. Nous sommes convenus que vous n’auriez pas l’air de me reconnaître devant le monde ; mais la défense ne regarde pas du tout M. Clennam. Il en est. Pas vrai, monsieur Clennam ?… N’est-ce pas, mademoiselle Dorrit ? »

L’agitation de cet étrange personnage gagnait rapidement Arthur. La petite Dorrit s’en aperçut, non sans surprise, et remarqua qu’ils échangeaient de rapides coups d’œil.

« J’avais commencé à vous dire quelque chose, ajouta Pancks ; mais je ne me rappelle vraiment plus ce que c’était… Oh ! je sais !… On trouve une fameuse société ici. C’est moi qui régale tout le monde…. N’est-ce pas, mademoiselle Dorrit ?

— C’est très-généreux de votre part, répondit-elle, remarquant qu’ils échangeaient encore un regard d’intelligence.

— Pas du tout. Ça n’est pas la peine d’en parler. Le fait est que je vais rentrer dans mes biens. Je puis me permettre d’être généreux. J’ai envie de donner un festin de Balthazar à tous les détenus. On dressera les tables dans la cour. Des montagnes de pain. Des buissons de pipes. Des charrettes de tabac. Du rosbif et du plum-pudding à discrétion. Une bouteille de porter première qualité par tête. Une pinte de vin par-dessus le marché pour ceux qui en voudront… si toutefois les autorités compétentes veulent bien le permettre… N’est-ce pas, mademoiselle Dorrit ? »

Elle était tellement troublée par les façons de Pancks ou plutôt si étonnée de voir qu’à chaque instant Clennam semblait mieux comprendre les paroles du petit remorqueur (car, à chaque nouvelle démonstration du cacatoès humain, elle regardait Arthur