Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/40

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plissait depuis longtemps l’une et l’autre de ces fonctions. En fait d’ornement, il ne portait qu’une montre plongée dans les profondeurs de la poche destinée à cet usage au moyen d’un vieux ruban noir, auquel était amarrée tout au bout une clef de cuivre ternie, espèce de bouée de sauvetage qui indiquait l’endroit où la montre avait coulé à fond. Il avait la tête de travers, et se mouvait tout d’un côté, avec une certaine démarche d’écrevisse qui donnait à penser que ses fondations avaient cédé à la même époque que celles de la maison, et qui faisait regretter qu’on ne l’eût pas étayé de la même façon.

« Que je suis faible ! dit Arthur Clennam, lorsque son guide eut disparu ; je me sens presque envie de pleurer de cet accueil, mol qui n’ai jamais été habitué à autre chose, et qui sais bien que je ne dois pas m’attendre à autre chose ! »

Non-seulement il en avait envie, mais il le fit. Ce ne fut que la faiblesse passagère d’une nature désillusionnée dès l’enfance, mais qui n’avait pas encore renoncé à toutes ses aspirations, à toutes ses espérances. Il maîtrisa son émotion, prit le chandelier et examina la salle. Pas un des vieux meubles n’avait changé de place : les Sept plaies de l’Égypte, encadrées et sous verre, étaient toujours accrochées à la muraille, seulement un peu plus ternies qu’autrefois par la fumée et les mouches, ces deux autres plaies de Londres. Le vieux cabaret, avec rien dedans, doublé de plomb, et qui avait l’air d’une sorte de cercueil à compartiments, était toujours là. Voilà bien aussi le vieux cabinet noir, toujours avec rien dedans, dont il avait tant de fois été l’unique habitant, aux jours de punition, alors que cet antre sombre lui paraissait être la véritable entrée de l’enfer, vers lequel la brochure déjà nommée l’accusait d’aller au galop. Voilà bien encore, sur le buffet, cette grande horloge lugubre qui tant de fois avait penché sur lui son visage numéroté, empreint d’une joie féroce, lorsqu’il était en retard avec ses leçons, et qui semblait, quand on la remontait une fois par semaine avec une manivelle de fer, témoigner en grinçant le plaisir sauvage que lui causaient d’avance les misères dont elle espérait abreuver l’écolier ! Mais voici le vieillard qui revient en disant :

« Arthur, je passe devant pour vous éclairer. »

Arthur monta après lui l’escalier, qui était divisé en panneaux semblables à des tablettes tumulaires, et entra avec lui dans une chambre à coucher obscure, dont le parquet s’était enfoncé et tassé peu à peu, de façon à laisser la cheminée au fond d’une vallée. Dans ce vallon, sur un canapé noir pareil à une bière, le dos appuyé sur un grand coussin anguleux, qu’on eût pris volontiers pour le billot des exécutions capitales du bon vieux temps, était assise la mère d’Arthur Clennam, dans son costume de veuve.

Son père et sa mère avaient toujours vécu en mésintelligence, d’aussi loin qu’il pouvait se rappeler. Demeurer silencieux sur sa chaise au milieu d’un profond silence, promenant avec effroi son regard de l’une à l’autre de ces figures qui se tournaient le dos,