Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/83

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« Amy, j’ai trouvé un emploi.

— Bien vrai, Tip ?

— N’a pas peur, cette fois. Ça va marcher maintenant. Tu n’as plus besoin de t’inquiéter de moi, ma bonne petite vieille.

— Quel emploi as-tu trouvé, Tip ?

— Tu connais de vue mon ami Slingo ?

— Tu ne veux pas parler de cet homme qu’on nomme le marchand ?

— Si, parbleu ! On lève son écrou lundi prochain et il m’emmène.

— Quelle marchandise vend-il, Tip ?

— Des chevaux. N’a pas peur ! ça va marcher maintenant, Amy. »

Elle le perdit de vue pendant quelques mois et ne reçut de ses nouvelles qu’une seule fois. Le bruit courut parmi les détenus les plus anciens qu’on avait aperçu Tip dans Moorsfields, à une vente montée par des escrocs, où il figurait en qualité de compère ; c’était lui qui faisait semblant d’acheter du plaqué pour de l’argenterie massive et de solder ses achats en billets de banque avec une édifiante libéralité. Un soir elle travaillait toute seule, debout auprès de la croisée, mettant à profit le crépuscule qui rôdait encore au haut des murs, lorsque Tip ouvrit la porte et entra.

Elle l’embrassa et lui souhaita la bienvenue ; mais elle n’osa lui adresser aucune question. En la voyant inquiète et craintive, il parut éprouver du repentir.

« J’ai bien peur, Amy, que tu ne sois vraiment fâchée cette fois. Parole d’honneur !

— Ne dis pas cela, Tip ; ça me fait de la peine. Te voilà donc revenu encore une fois ?

— Mais… oui.

— Comme je n’espérais pas que l’emploi que tu as trouvé pût te convenir longtemps, je suis moins surprise et moins chagrinée que je ne l’aurais été sans cela, Tip.

— Ah ! mais je ne t’ai pas tout dit.

— Comment, tout ?

— Allons, ne prends pas cet air effrayé. Non, Amy, je ne t’ai pas tout dit. Je suis revenu, comme tu vois ; mais… ne prends donc pas cet air effrayé… aujourd’hui je fais ma rentrée ici dans ce qu’on peut appeler un nouveau rôle. Je n’y figure plus sur la liste des volontaires ; me voilà incorporé dans les troupes régulières.

— Oh ! Tip, tu ne veux pas dire que tu es prisonnier ! Non, non, n’est-ce pas Tip ?

— Mais je ne veux rien dire du tout, répondit Tip à contre-cœur ; seulement, si tu ne me comprends pas à demi-mot, que veux-tu que je fasse ? Je suis coffré pour quarante misérables guinées. »

Pour la première fois depuis bien des années, Amy succomba sous le poids de ses épreuves. Elle s’écria, en élevant ses mains