abus de confiance de toute espèce), que l’aube du lendemain pouvait mettre au jour ; il y avait là bien assez de secrets pour se figurer que l’atmosphère en était surchargée. Mais ce n’était pas tout. Les ombres devenaient de plus en plus épaisses à mesure qu’il se rapprochait de leur source, il songeait aux secrets enfermés sous les voûtes du cimetière isolé, où ceux qui avaient entassé leurs richesses secrètes dans des coffres-forts étaient eux-mêmes entassés à leur tour, sans cesser pour cela de faire du mal, puisqu’ils contribuaient à empester l’air environnant ; puis aux secrets que la rivière roulait dans son onde boueuse, entre deux déserts peuplés de secrets le long de ses rives, pendant bien des lieues, tenant à distance l’air pur de la campagne traversé par les vents et l’aile des oiseaux.
L’ombre épaississait toujours à mesure qu’il se rapprochait de la maison, le souvenir de la triste chambre autrefois occupée par son père, hantée par le visage suppliant qu’il avait vu s’éteindre lorsqu’il veillait seul auprès de son lit de mort se dressa devant lui. Il y avait encore une odeur de secret dans l’atmosphère renfermée de cette salle. L’obscurité, la moisissure et la poussière de tout le bâtiment avaient quelque chose de secret et de mystérieux. Et au centre de tous ces mystères, se tenait sa mère, au visage inflexible, à la volonté inébranlable, cachant avec résolution tous les secrets de sa propre existence aussi bien que ceux de son époux, luttant avec austérité et face à face contre le grand secret final de toute existence.
Il venait d’entrer dans une rue étroite et montueuse sur laquelle donnait la cour et l’enceinte où se trouvait la maison de Mme Clennam, lorsqu’un autre pas se fit entendre au coin de la rue et le suivit de si près, qu’il se vit pousser contre le mur. Comme Arthur était absorbé par ses rêveries contemplatives, il fut tellement surpris par ce choc imprévu, que l’autre avait eu le temps de lui dire d’un ton tapageur : « Pardon ! pas ma faute ! » et de passer devant lui avant qu’il eût eu seulement le temps de renaître à la réalité des lieux qui l’entouraient.
Lorsqu’il reprit, pour ainsi dire, connaissance, il vit que l’homme qui venait de le dépasser était justement celui auquel il avait tant pensé depuis trois ou quatre jours. Ce n’était pas une ressemblance fortuite, rendue plus trompeuse encore par la vive impression que cette rencontre avait faite sur lui. C’était bien le même homme, l’homme qu’il avait vu marcher à côté de Tattycoram, et causer avec Mlle Wade.
La rue descendait vers la rivière par une pente assez rapide, en faisant un crochet. L’étranger (qui, sans être précisément ivre, paraissait assez en train) s’éloigna si vite que Clennam cessa de l’apercevoir. Sans dessein bien arrêté de le suivre, mais animé du désir de ne pas le perdre immédiatement de vue, Clennam hâta le pas afin de gagner le détour de la rue qui lui cachait l’inconnu. Lorsqu’il tourna ce coin, l’autre avait disparu.
Arrivé près de l’entrée de la maison de Mme Clennam il regarda