Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/108

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le long de la rue : elle était vide. Il n’y avait cependant là aucune ombre dont on pût profiter pour se cacher ; Clennam n’avait pas non plus entendu ouvrir et refermer de porte. Il pensa néanmoins que l’inconnu tenait apparemment sa clef toute prête à la main, et s’était ouvert une des portes de la rue pour rentrer chez lui.

Rêvant à cet étrange hasard il se dirigea vers la maison. Comme, selon son habitude, il levait les yeux vers les fenêtres faiblement éclairées de la chambre de sa mère, il aperçut, debout contre la grille de la petite cour d’entrée, l’homme qu’il cherchait, occupé à regarder aussi les croisées de Mme  Clennam en riant tout bas. Quelques-uns des nombreux chats de gouttière qui, la nuit rôdaient toujours par là, et auxquels la vue de cet homme avait fait peur, semblaient s’être arrêtés là en même temps que lui et s’être perchés sur des poutres ou sur le faîte de la muraille pour le regarder avec des yeux qui ressemblaient aux siens. Celui-ci ne s’était arrêté qu’un instant pour s’en amuser ; il ne tarda pas à s’avancer, et, rejetant l’extrémité du manteau qui lui couvrait l’épaule, monta les marches inégales, et frappa un bon coup à la porte.

La surprise de Clennam ne fut pas cependant assez forte pour l’empêcher de prendre tout de suite un parti. Il traversa également la cour et gravit les marches. L’étranger, après l’avoir regardé d’un air fanfaron, se mit à chanter à mi-voix :

Qu’est-c’qui passe ici si tard,
Compagnons de la Marjolaine ?
Qu’est-c’qui passe ici si tard,
Dessus le quai ?

Puis il frappa de nouveau.

« Vous êtes impatient, monsieur, dit Arthur.

— En effet, monsieur. Mort de ma vie, monsieur ! répondit l’étranger, c’est dans mon caractère d’être impatient. »

Au bruit que fit la prudente Mme  Jérémie en assujettissant la chaîne avant d’entr’ouvrir le porte, les deux interlocuteurs tournèrent la tête de ce côté. Mme  Flintwinch ayant entrebâillé la porte, apparut tenant à la main un chandelier et demanda :

« Qui donc frappe ainsi à une pareille heure ?… Comment, Arthur ! ajouta-t-elle d’un ton surpris en l’apercevant le premier. Mais ce ne peut pas être vous qui vous annonciez comme ça ! … Ah ! le ciel nous préserve ! Non, s’écria-t-elle en apercevant l’inconnu, c’est l’autre qui cet revenu !

— Mais oui, c’est encore moi, chère madame Flintwinch, répondit l’étranger. Ouvrez la porte, que je presse sur mon cœur mon ami Flintwinch ! Ouvrez donc, car j’ai hâte d’embrasser mon bien-aimé Flintwinch.

— Il est sorti, répliqua Mme  Jérémie.

— Allez le chercher, dans ce cas ! s’écria l’étranger. Allez le chercher, mon Flintwinch ! Dites-lui que c’est son vieux Blandois qui ne fait que d’arriver en Angleterre ; dites-lui que son ami