Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/118

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venais pas plus sage et je continuais à rêver, sans quitter la table, que les dépenses d’un pareil dîner me rendaient bien malheureuse, et je me creusais la tête pour savoir comment on arriverait jamais à les payer. Je n’ai jamais rêvé du changement même de notre fortune ; je n’ai jamais rêvé de cette mémorable matinée où vous êtes revenu avec moi annoncer petit à petit la grande nouvelle ; je n’ai même jamais rêvé de vous.

« Cher monsieur Clennam, il se peut que je songe trop à vous… et à d’autres… pendant le jour pour qu’il me reste dans l’esprit des pensées à vous donner dans mon sommeil. Car il faut que je vous avoue que j’ai le mal du pays, que je désire si vivement et si ardemment revoir les lieux où j’ai vécu, que je ne pense plus à autre chose lorsque personne n’est là pour me voir. Je souffre à mesure que je m’en éloigne, et quand je m’en rapproche, ne fût-ce que de quelques lieues, mon cœur se desserre même malgré la certitude que nous ne tarderons pas à nous éloigner de nouveau. J’aime tant les lieux témoins de ma pauvreté et de votre bonté pour moi ! Oh ! oui ! je les aime tendrement.

« Dieu sait quand votre pauvre enfant reverra l’Angleterre ! Nous aimons tous (moi exceptée) la vie que l’on mène ici, et il n’est pas question d’un prochain retour. Mon cher père parle de se rendre à Londres vers la fin du printemps pour régler quelques affaires d’intérêts, mais je n’ai aucun espoir qu’il m’emmène avec lui.

« J’ai essayé de profiter un peu plus des leçons de Mme  Général, et j’espère que je ne suis pas tout à fait aussi gauche qu’autrefois. Je commence à parler et comprendre, sans trop de peine, les langues difficiles dont je vous ai entretenu. Je ne me suis pas rappelé la première fois que je vous ai écrit, que vous parliez ces deux langues ; mais je m’en suis souvenue plus tard et cela m’a encouragée. Dieu vous bénisse, cher monsieur Clennam. N’oubliez pas

« Votre toujours reconnaissante et affectionnée

« Petite Dorrit. »

« P. S. Surtout rappelez-vous que Minnie Gowan mérite votre souvenir le plus sympathique. Vous ne sauriez avoir d’elle une opinion trop élevée ou trop favorable. J’ai oublié M. Pancks la dernière fois. Si vous le voyez, dites-lui, je vous prie, que la petite Dorrit se rappelle à son bon souvenir. Il a été plein de bonté pour la petite Dorrit. »