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Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/12

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Le souper était terminé, il repoussa sa chaise et reprit sa place auprès du feu. Comme il faisait très-froid à une certaine distance de la cheminée, les autres convives ne tardèrent pas à se rapprocher de l’âtre dans l’intention de se rôtir un peu avant d’aller se coucher. L’hôte, lorsqu’ils se levèrent de table, leur adressa un salut général, leur souhaita le bonsoir et se retira. Mais le touriste insinuant lui avait déjà demandé si on ne pouvait pas leur servir du vin chaud ; et, comme l’hôte, après lui avoir répondu que cela se pouvait, leur avait fait apporter ce rafraîchissement, le touriste satisfait, assis au centre du groupe de façon à profiter de toute la chaleur du feu, fut bientôt occupé à remplir les verres et à les passer à ses compagnons.

À ce moment, la plus jeune des deux demoiselles qui, de son coin obscur (la flamme du foyer formait le principal éclairage de la sombre salle, car la lampe fumeuse ne jetait pas un grand éclat), avait écouté en silence ce qu’on avait dit de la dame absente, sortit sans bruit du réfectoire. Lorsqu’elle eut refermé la porte tout doucement, elle ne sut de quel côté diriger ses pas ; mais, après avoir erré un moment à travers les nombreuses et sonores galeries, elle arriva à une salle en coin de la galerie principale, où les domestiques étaient en train de souper. Elle se fit donner une lampe et indiquer la chambre de la dame.

Cette chambre se trouvant un étage plus haut, il fallut monter le grand escalier. Çà et là les murs nus et blancs étaient percés d’une grille, et, tout en montant, elle pensait que le couvent avait presque l’air d’une prison. La porte en ogive de la cellule était entre-bâillée. Après y avoir frappé deux ou trois fois sans recevoir de réponse, la jeune fille la poussa doucement, et jeta un coup d’œil dans la chambre.

La dame reposait sur le lit les yeux fermés et tout habillée protégée contre le froid par les couvertures et les châles qu’on avait jetés sur elle lorsqu’elle était revenue de son évanouissement. Une veilleuse placée dans la profonde embrasure de la croisée éclairait à peine cette salle voûtée. La visiteuse s’approcha timidement du lit et demanda tout bas :

« Allez-vous un peu mieux ? »

La dame sommeillait et la douce voix qui lui adressait cette question ne suffit pas pour la réveiller. La visiteuse se tint immobile à son chevet, la regardant avec attention.

« Elle est très jolie, se dit-elle. Je n’ai jamais vu un plus charmant visage. Ah ! ce n’est pas comme moi ! »

C’était une réflexion assez étrange, mais il fallait qu’elle eût quelque sens caché, car les yeux de la jeune fille se remplirent de larmes.

« Je sais que je ne me trompe pas. Je sais que c’est d’elle qu’il m’a parlé le soir où, sans le vouloir, il m’a fait tant de mal. Je pourrais très facilement me méprendre sur tout autre sujet, mais pas sur celui-ci, oh non ! pas sur celui-ci ! »