Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/13

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D’une main tranquille et tendre, elle écarta du front de la dormeuse une boucle de cheveux égarés, puis elle toucha la main étendue en dehors des couvertures.

« J’aime à la regarder, se dit-elle encore tout bas. J’aime à voir ce qui a ému mon pauvre ami. »

Elle n’avait pas retiré sa main, lorsque la dormeuse ouvrit les yeux et tressaillit.

« N’ayez pas peur, madame. Je ne suis qu’une des voyageuses d’en bas. J’étais venue vous demander si vous alliez mieux, et si je puis faire quelque chose pour vous.

— Je crois que vous avez déjà eu la bonté d’envoyer vos domestiques à mon secours ?

— Ce n’est pas moi, c’est ma sœur. Allez-vous mieux ?

— Beaucoup mieux. Cette contusion est fort peu de choses ; on m’a bien soignée, et je n’en souffre presque plus. Elle m’a donné seulement un étourdissement qui m’a fait perdre connaissance subitement. Elle m’avait bien causé déjà quelque douleur, mais cette fois là elle m’a accablée du coup.

— Voulez-vous que je reste ici jusqu’à ce qu’il vienne quelqu’un ?

— Vous me ferez grand plaisir, car c’est bien isolé ici ; mais je crains que vous ne souffriez trop du froid.

— Le froid ne m’a jamais effrayée. Je suis plus forte que je ne le parais. »

Elle se dépêcha d’approcher du lit l’une des deux chaises grossières qui meublaient la cellule et s’assit. L’autre, de son côté, s’empressa de tirer à elle la moitié d’un manteau de voyage et d’en couvrir sa compagne, de façon que son bras, en le retenant autour d’elle, reposait sur l’épaule de la visiteuse.

« Vous avez tellement l’air d’une bonne petite garde-malade, dit la dame en souriant à la jeune fille, qu’il me semble qu’on vous a envoyée chez moi pour me soigner.

— J’en suis bien aise.

— C’est moi plutôt ! J’étais justement en train d’en rêver avant de me réveiller tout à l’heure. Je veux parler du chez moi de mon enfance, de ma jeunesse… avant que je fusse mariée.

— Et avant que vous l’eussiez laissée si loin derrière vous.

— Je m’en étais déjà éloignée une fois bien plus que je ne le suis aujourd’hui ; mais alors j’emportais avec moi ce qu’il y avait de meilleur au logis, et je ne m’apercevais pas qu’il me manquât quelque chose. Mais tout à l’heure, avant de m’endormir, je me suis sentie un peu abandonnée, j’ai regretté ce que j’ai laissé dans la maison paternelle, et j’en ai rêvé. »

Elle prononça ces paroles avec une intonation tristement affectueuse et pleine de regrets, qui empêcha la visiteuse de la regarder pour le moment.

« C’est un étrange hasard qui nous rassemble enfin toutes les deux sous ce manteau dont vous m’avez enveloppée, dit-elle après