Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/173

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pour me soigner, je… hem !… Dieu aidant… je peux me faire soigner. Mais je… hem !… ne saurais, ma chère enfant, me résoudre à vous accaparer, ou, pour ainsi dire, à vous sacrifier. »

N’était-il pas un peu tard pour commencer à faire preuve de tant d’abnégation ? pour avoir l’air de s’en faire honneur ? pour y croire, en supposant la chose possible ?

« Ne parlez plus de cela, Amy. Je ne saurais m’y résoudre. Je… ha !… ne dois pas m’y résoudre. Ma… hem !… conscience s’y oppose. Je profite donc, mon amour, de l’occasion que m’offre cette circonstance flatteuse et imposante pour… ah !… remarquer avec toute la gravité nécessaire que désormais mon vœu le plus cher, c’est de trouver pour vous un parti… hem !… convenable… convenable, je le répète.

— Oh ! non, cher père. Je vous en prie.

— Amy, je suis persuadé que, si l’on soumettait cette question à une personne douée d’une connaissance parfaite du monde, d’une délicatesse et d’un jugement supérieurs, à… hem !… Mme Général, par exemple, il n’y aurait pas deux avis quant à la nature… hem !… affectueuse et à la haute convenance des sentiments que je viens de vous exprimer. Mais, comme je connais de longue date et… hem !… par expérience, votre caractère soumis et dévoué, je suis convaincu que je n’ai pas besoin de vous en dire davantage. Je n’ai… hem !… aucun mari à vous proposer pour le moment, ma chère ; je n’ai même personne en vue. Je désire seulement que… ah !… nous nous comprenions. Hem ! Bonsoir, ma chère et seule fille. Bonsoir. Dieu vous bénisse ! »

Si ce soir-là la petite Dorrit songea un seul instant que son père n’aurait aucun chagrin à se séparer d’elle dans sa prospérité, maintenant qu’il désirait la remplacer par une seconde épouse, elle chassa cette pensée. Toujours fidèle au vieillard qu’elle seule avait soutenu dans ses plus mauvais jours, elle repoussa une pareille idée ; elle se contenta, durant cette nuit d’insomnie et de larmes, de songer que son père ne voyait plus rien qu’à travers ces richesses, et le désir incessant de les conserver et de les accroître.

Ils continuèrent à figurer dans l’équipage de cérémonie, avec Mme Général sur le siège, pendant trois semaines encore. Alors, M. Dorrit se mit en route pour rejoindre Fanny à Florence. La petite Dorrit l’eût volontiers accompagné jusque-là, par pure affection pour lui, quitte à s’en revenir toute seule, rêvant à sa chère Angleterre. Mais, bien que l’on n’eût pas là le courrier qui avait escorté la nouvelle mariée, le valet de chambre, M. Tinkler, était le second en grade, et le choix paternel ne devait pas tomber sur Amy tant qu’il pourrait trouver à se faire accompagner par un serviteur à gages.

Mme Général prit les choses fort tranquillement… aussi tranquillement qu’elle prenait tout le reste… lorsque l’habitation romaine de M. Dorrit ne fut plus occupée que par la petite Dorrit et elle. Amy sortait souvent dans la voiture de louage qu’on leur avait