Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/179

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confiance illimitée ; autrement les affaires deviendraient impossibles. »

M. Dorrit accueillit avec ferveur ces nobles sentiments.

« Je suis donc obligé de vous dire que je ne puis vous favoriser que jusqu’à un certain point…

— Très-bien. Jusqu’à un certain point, remarqua M. Dorrit.

— … Jusqu’à un certain point. Et tout doit se faire cartes sur table. Quant à mes conseils, c’est autre chose. Tels qu’ils sont.

— Oh ! tels qu’ils sont ! »

M. Dorrit ne voulut pas permettre, même à M. Merdle de déprécier le moins de monde la valeur de ses précieux avis.

« Mais, par exemple, pour mes conseils, n’existe entre moi et mes semblables aucun engagement d’honneur qui m’empêche de les donner à qui me plaît. Et sous ce rapport (continua M. Merdle s’intéressant beaucoup à un tombereau de boueur qui passait sous la croisée), je serai toujours à vos ordres. »

M. Dorrit remercia de nouveau. M. Merdle passa encore une fois la main sur son front. Calme et silence. Contemplation des boutons du gilet de M. Dorrit par son ami M. Merdle.

« Mon temps étant assez précieux, reprit alors le millionnaire se levant tout d’un coup, comme s’il avait jusque-là attendu après ses jambes et qu’on vînt de les lui apporter à l’instant même, il faut que je me dirige vers la Cité. Voulez-vous que je vous mène quelque part, monsieur ? Je serai heureux de vous descendre en route ou de vous conduire plus loin. »

M. Dorrit se rappela qu’il avait affaire chez son banquier. Son banquier habitait dans la Cité. Tant mieux ; M. Merdle le conduirait à la Cité. Mais M. Dorrit ne voulait pas faire attendre M. Merdle le temps de passer sa redingote. Si, si ; M. Merdle insista. M. Dorrit se retira donc dans la chambre voisine, se remit entre les mains de son valet, et, au bout de cinq minutes revint tout resplendissant.

« Permettez-moi, monsieur. Prenez mon bras ! » dit alors M. Merdle.

Et M. Dorrit, s’appuyant sur le bras de M. Merdle, descendit le grand escalier, aperçut les fidèles stationnés sur les marches, et sentit passer sur sa personne un reflet des rayons de la gloire de ce grand homme. Puis, après cela, quel honneur encore ! la promenade dans la voiture de M. Merdle jusqu’à la Cité ; les gens qui s’arrêtaient pour le voir, et les têtes grises qui se découvraient à la hâte ; les courbettes et les saluts sans nombre à l’adresse de ce merveilleux mortel ! Jamais on ne vit servilité pareille… non, par le ciel, jamais ! Ne me parlez pas de vos flatteurs des dimanches, dans les cathédrales de Westminster et de Saint-Paul à la fois voilà-t-il pas grand’chose en comparaison ! Ce fut un rêve délicieux pour M. Dorrit de se trouver placé dans ce char de triomphe qui poursuivit sa course magnifique vers ce but bien approprié à la circonstance, Lombard-Street, la rue d’or des marchands d’argent.