Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/182

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Il avait réfléchi, dans l’intervalle, que, s’il ne recevait pas cette dame, elle pourrait laisser en bas quelque message inopportun ou faire quelque allusion peu agréable à la position sociale qu’il occupait naguère. De là cette concession, de là aussi l’apparition de Mme  Finching, précédée du garçon.

« Je n’ai pas le plaisir, dit M. Dorrit, qui se tint debout la carte à la main, d’un ton qui indiquait clairement que, dans tous les cas, ce plaisir n’aurait pas été de son goût, de vous connaître, soit de nom, soit personnellement… Avancez donc une chaise, monsieur. »

Le serviteur responsable fit un soubresaut et obéit, puis il s’éloigna sur la pointe des pieds. Flora, levant son voile avec une trépidation toute juvénile, se présenta à M. Dorrit. Au même instant, il se répandit dans la chambre une étrange combinaison de parfums, comme si on avait versé par erreur du rhum dans un flacon d’eau de lavande, ou de l’eau de lavande dans une bouteille de rhum.

« Je demande un million de pardons à M. Dorrit… et ce n’est pas encore assez pour le dérangement que je lui cause… car je sais que c’est fort inconvenant de la part d’une dame de se présenter seule… mais j’ai pensé que, malgré tout, cela valait encore mieux, bien que la tante de M. Finching m’eût volontiers accompagnée, et, en sa qualité de femme d’une énergie remarquable elle aurait sans doute fait sensation sur une personne aussi versée dans la connaissance du monde que vous devez l’être après tant de vicissitudes. Car M. Finching lui-même disait souvent que, bien qu’il eût été élevé dans un pensionnat de Blackheath, où l’on payait jusqu’à quatre-vingts guinées par an… (ce qui est beaucoup pour des parents dans le commerce, surtout lorsqu’on garde le couvert au départ des élèves, si je fais cette dernière remarque, c’est moins pour la valeur de ces objets que pour constater la ladrerie de la chose)… Il avait plus appris dans une année (comme commis-voyageur pour le placement d’un article dont personne ne voulait entendre parler, et moins encore faire l’emplette ; c’était avant qu’il entrât dans la partie des vins) que pendant les six ans qu’il avait passés dans une institution dirigée par un bachelier[1] d’Oxford… Mais, à propos de bachelier, pourquoi donc les célibataires feraient-ils de meilleurs maîtres que les hommes mariés ? c’est ce que je n’ai jamais bien compris… mais veuillez m’excuser, il ne s’agit pas de ça. »

M. Dorrit, immobile de stupeur, ressemblait à une statue de la Mystification.

« Je dois avouer que je n’ai pas la prétention de vous connaître, poursuivit Flora ; mais ayant connu la chère petite… qui, vu le changement de circonstances, excusez cette allusion que vous pourriez croire indiscrète, rien n’est plus loin de ma pensée… car

  1. Bachelor, bachelier ou célibataire.