Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/195

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— Avec plaisir, monsieur. »

John les posa sur la table d’une main tremblante.

« Attendez un instant, John… encore un instant. Ce serait… ha !… une satisfaction pour moi d’envoyer, par un messager aussi digne de confiance, un petit… hem !… témoignage qui serait partagé entre les… ha ! hem !… entre eux, vous savez bien, selon leurs besoins. Vous ne refuserez pas de vous charger de cette commission, John ?

— Bien au contraire, monsieur. Il y a parmi eux bien des gens qui ont grand besoin de secours.

— Merci, John. Je… ha !… je vais vous écrire un mandat, John. »

Sa main tremblait tellement qu’il lui fallut beaucoup de temps pour barbouiller un griffonnage à peine lisible. C’était un mandat de cent livres[1] sur son banquier. Il le plia, le mit dans la main de John et la pressa dans les siennes.

« J’espère que vous… ha !… oublierez… hem !… ce qui vient de se passer, John ?

— N’en parlons plus, monsieur, ça n’en vaut pas la peine. Je n’ai pas de rancune…, pas le moins du monde je vous assure. »

Mais rien ne put rendre aux traits de John leur expression et leur couleur naturelles.

— Et j’espère, John, reprit M. Dorrit qu’il est… hem !… convenu entre nous, que cet entretien est tout confidentiel, et que vous vous abstiendrez, en sortant, de dire à qui que ce soit un mot qui pourrait… hem !… faire supposer que… ha !… j’ai autrefois…

— Oh ! je vous prie, monsieur, répondit John Chivery, de me croire trop fier et trop honorable, dans ce que je suis, pour rien faire de pareil. »

M. Dorrit, lui, ne fut ni trop fier ni trop honorable pour écouter à la porte afin de s’assurer que John sortait sans causer avec les gens de la maison. Il put s’assurer que le jeune homme quittait immédiatement l’hôtel et descendait la rue d’un pas rapide. Après être resté seul une heure environ, M. Dorrit sonna le courrier, qui le trouva assis devant la cheminée ; le dos tourné à la porte.

« Vous pouvez prendre ce paquet de cigares pour fumer en route, si voulez, dit M. Dorrit avec un geste plein de nonchalance. Ha !… Ils m’ont été apportés par…, hem !… c’est un petit souvenir d’un… ha !… du fils d’un de mes vieux fermiers. »

Le soleil du lendemain vit l’équipage de M. Dorrit roulant sur la route de Douvres, où chaque postillon en veste rouge servait d’enseigne à quelque auberge cruelle, établie pour piller sans pitié les voyageurs. La race humaine, tout le long de la route de Londres à Douvres, semblait n’avoir d’autre occupation que de dépouiller les passants. M. Dorrit fut arrêté à Dartford, pillé à Gravesend, volé à

  1. Deux mille cinq cents francs.