Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/208

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

« Amy, ma chère, répéta-t-il, va donc voir si c’est Bob qui est de garde aujourd’hui au guichet ! »

Elle se tenait à côté de lui et le touchait, mais il s’obstinait à croire qu’elle n’avait pas quitté sa place, et il cria encore, toujours debout et les mains appuyées sur la table :

« Amy, Amy ! Je ne me sens pas très-bien… Ha !… Je ne sais pas ce que j’ai. Je désire surtout voir Bob… Hem !… De tous les guichetiers, il est autant mon ami que le tien. Vois si Bob est dans sa loge et prie-le de venir me trouver. »

Les convives, consternés s’étaient tous levés.

« Cher père, je ne suis plus là-bas où vos yeux me cherchent… Me voici… à vos côtés.

— Oh ! te voilà, Amy ! Bien… hem… bien… ha ! Appelle donc Bob. S’il n’est pas de garde et qu’il ne se trouve pas dans la loge, dis à Mme Baugham d’aller le chercher. »

Elle essayait de l’attirer doucement et de l’emmener ; mais il résista et ne voulut pas la suivre.

« Je te répète, enfant, dit-il d’un ton mécontent, que je ne peux pas monter cet étroit escalier si Bob n’est pas là pour m’aider. Ha ! Envoie chercher Bob… le meilleur des guichetiers… Envoie-le chercher ! »

Il regarda autour de lui d’un air troublé, et se voyant entouré d’un grand nombre de personnes, il leur adressa ce discours :

« Messieurs et mesdames, mon devoir… ha !… m’oblige à… hem !… vous souhaiter la bienvenue. Soyez les bienvenus dans la prison de la Maréchaussée ! Notre territoire est un peu… ha !… restreint… La promenade pourrait être moins limitée… limitée ; mais plus vous resterez ici, plus elle vous paraîtra s’agrandir… et l’air, tout bien considéré, est fort salubre. La brise nous arrive des… ha !… des collines du comté de Surrey… Messieurs et mesdames, voici le café de l’endroit… hem !… entretenu au moyen de souscriptions volontaires… hem !… par les membres de la communauté. On y trouve en échange… de l’eau chaude… une cuisine commune… et divers autres petits avantages domestiques. Les habitués de la Maréchaussée veulent bien m’appeler leur père. Les étrangers aussi ont coutume de présenter leurs respects au… hem !… doyen de la communauté. Et, certes, si de longues années de résidence donnent des droits à… hem !… un titre si honorable, je puis, sans scrupule, réclamer… hem !… cette distinction. Je vous présente mon enfant, messieurs et mesdames ; ma fille, qui est née ici ! »

Elle ne rougissait pas du lieu de sa naissance ni de son père. Elle était pâle, elle avait peur ; mais son seul souci était de le calmer et de l’emmener, par amour pour lui. Elle se tenait entre lui et tous ces visages surpris, appuyée contre sa poitrine et le visage levé vers le sien. Il l’entourait de son bras gauche, et de temps en temps, on entendait la voix de la jeune fille qui le suppliait tendrement de s’éloigner avec elle.