Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/217

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— Vous êtes bien libre de dire ce que vous voudrez, remarqua Mlle  Wade, comme je suis libre, de mon côté, de ne pas souscrire à vos hypothèses, monsieur Clennam.

— … Qu’ayant eu du moins des relations personnelles avec cet homme, poursuivit Clennam, changeant la forme de sa phrase dans l’espoir de la rendre plus acceptable, vous pourrez me donner quelques détails sur ses antécédents, ses habitudes, sa profession, son lieu de résidence ordinaire ; que vous pourrez, en un mot, me mettre sur la trace de ce qu’il peut être devenu. Voilà la faveur que j’ai à vous demander, et je vous la demande dans une situation d’esprit qui, j’ose l’espérer, vous inspirera un peu de sympathie. Si vous avez un motif quelconque pour m’imposer des conditions, je le respecterai sans vous demander à le connaître.

— Vous m’avez vue par hasard causant dans la rue avec cet homme, remarqua Mlle  Wade, qui, au grand dépit d’Arthur, s’occupait beaucoup plus de ses propres réflexions que de la prière même qu’il venait de lui adresser. Vous le connaissiez donc déjà avant cette rencontre ?

— Non… pas avant. Je ne l’ai connu que plus tard. Je ne l’avais jamais rencontré auparavant, mais je l’ai retrouvé le soir même où l’en prétend qu’il a disparu… dans la chambre de ma mère, pour tout dire… Je l’y ai laissé. Vous verrez dans cette affiche tout ce qu’on sait de lui. »

Il lui tendit un des avis imprimés qu’elle lut avec beaucoup d’attention et d’intérêt.

« Eh bien, je n’en savais pas tant sur son compte, » reprit-elle en lui rendant l’affiche.

Les traits de Clennam indiquèrent un vif désappointement, peut-être même annoncèrent-ils de l’incrédulité, car Mlle  Wade ajouta, du même ton peu sympathique :

« Vous ne me croyez pas ? Pourtant, rien n’est plus vrai. Quant à des relations personnelles, il me semble qu’il en a existé aussi entre cet homme et votre mère. Et néanmoins, vous voulez bien la croire, lorsqu’elle vous déclare qu’elle ne le connaît pas davantage. »

Ces paroles, ainsi que le sourire qui les accompagnait, renfermaient une insinuation assez claire pour faire monter le sang aux joues de Clennam.

« Allons, monsieur, répéta-t-elle (on voyait qu’elle éprouvait un cruel plaisir à répéter ce coup de poignard), je serai aussi franche avec vous que vous pouvez le désirer. Je vous avouerai que, si je tenais à ma réputation (et heureusement je n’y tiens pas le moins du monde), ou si j’avais un nom à faire respecter (et heureusement encore, je ne me soucie pas du tout de ce que l’on peut penser de moi), je me regarderais comme fort compromise d’avoir eu affaire avec cet individu. Et pourtant, moi, il n’a jamais franchi mon seuil… il n’est jamais resté en conférence avec moi jusqu’à minuit. »

Elle vengeait une vieille rancune en tournant contre lui le sujet