Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/23

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périr de froid, à moins de connaître les gens. Je devine sans peine quel est l’ami de Mme Gowan.

— Qui cela ? demanda le père.

— Papa, je suis fâchée de le dire, continua Mlle Fanny qui avait réussi à se persuader qu’on avait des torts très graves envers elle, quoique cela fût parfois difficile ; mais je crois que cette dame est l’amie d’un individu peu recommandable et encore moins agréable, qui, avec un manque de délicatesse auquel nous devions bien, du reste, nous attendre de sa part, nous a froissés et insultés ouvertement et volontairement dans une certaine occasion à laquelle il a été convenu que nous ne ferons dorénavant aucune allusion directe.

— Amy, ma fille, dit M. Dorrit avec une douce sévérité que tempérait une dignité affectueuse, est-il bien vrai ?… »

La petite Dorrit répondit doucement que c’était vrai.

« Vous voyez ! s’écria Mlle Fanny. Vous voyez ! Je l’avais bien dit ! Et maintenant, papa, je déclare une fois pour toutes… (l’ex-danseuse avait coutume de faire cette même déclaration une fois pour toutes, plusieurs fois par jour…) que c’est vraiment honteux ! Je déclare une fois pour toutes qu’il faut que cela finisse. Ne suffit-il donc pas que nous ayons souffert tout ce que nous savons, sans que le reproche nous en soit jeté à la figure, avec une persévérance systématique, par celle qui devrait surtout éviter de réveiller un si douloureux souvenir ? Serons-nous donc sans cesse exposés à une conduite aussi dénaturée ? Ne nous sera-t-il jamais permis d’oublier ? Je le répète, c’est vraiment infâme !

Ma foi, Amy, remarqua le frère, hochant la tête, tu sais qu’en toute occasion je prends ton parti quand la chose est possible. Mais j’avoue, parole d’honneur ! que je trouve que tu as choisi une drôle de manière de me prouver ton affection ! Comment, tu vas t’intéresser à un homme qui m’a traité de la façon la plus indigne dont on puisse traiter un gentleman ? Et qui, ajouta-t-il d’un ton convaincu, ne saurait être autre chose qu’un misérable filou, sans quoi il ne se serait jamais conduit comme il a fait.

— Et voyez, reprit Mlle Fanny, voyez à quoi cela pourrait nous mener. Comment voulez-vous qu’après cela nos gens nous respectent encore ? c’est impossible ! Malgré nos deux femmes de chambre, et le valet de chambre de papa, et le valet de pied, et le courrier, et les autres, il faut que l’une de nous se précipite avec des verres d’eau comme une simple bonne !… Mais un policeman, s’il voyait un mendiant se trouver mal au milieu de la rue, ne pourrait pas faire plus que de s’élancer avec des verres d’eau, comme cette petite Amy l’a fait hier soir, dans cette propre salle, devant nos propres yeux !

— Ce n’est pas tant à cela que je trouve à redire ; ça peut se tolérer, une fois par hasard, remarqua M. Édouard ; mais votre Clennam, ainsi qu’il juge à propos de se nommer, c’est autre chose.