Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/246

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

« Marche en avant, imbécile !… Montez-vous ou descendez-vous, madame Finching ? » continua Jérémie.

Flora répondit :

« Nous descendons.

— Alors, prends les devants et descends, Affery, et si tu n’éclaires pas bien, je me laisserai glisser le long de la rampe, et je te tomberai sur le corps, ma mie ! Attention. »

Mme  Jérémie forma donc l’avant-garde dans ce voyage d’exploration, et Jérémie représenta l’arrière-garde, car il ne songeait nullement à les priver du plaisir de sa société. Clennam s’étant retourné et ayant vu M. Flintwinch qui suivait, à trois marches d’intervalle d’un pas calme et méthodique, ne put s’empêcher de dire tout bas :

« Ah çà, il n’y a donc pas moyen de se débarrasser de lui ! »

Flora s’empressa de rassurer son compagnon en répondant aussitôt :

« Quoique ce ne soit peut-être pas très-convenable, Arthur, et que je ne voulusse pas y consentir pour tout un monde devant un homme plus jeune que Jérémie, ou devant un étranger, je ne ferai pas attention à lui si vous tenez tant à me prendre par la taille, pourvu que vous ayez la bonté de ne pas me serrer trop fort. »

Arthur n’ayant pas le courage d’expliquer que ce n’était pas du tout là ce qu’il avait voulu dire, passa le bras autour de la taille de Flora.

« Oh ! vraiment, dit la veuve, vous êtes vraiment bien obéissant, et c’est très-honorable et très-beau de votre part d’y mettre tant de discrétion, mais, malgré tout, si vous tenez absolument à me serrer un peu plus fort, je ne m’en formaliserai pas. »

Dans cette attitude ridicule, qui formait un si grand contraste avec les pensées cruelles dont son âme était dévorée, Clennam arriva au rez-de-chaussée, après avoir découvert en route que, dans les coins un peu noirs, Flora devenait plus lourde, et que son poids diminuait aussitôt que la lumière éclairait mieux leurs pas. Après avoir visité les lugubres cuisines souterraines, qui étaient aussi tristes que jamais, Mme  Jérémie entra avec la chandelle dans la chambre du père d’Arthur, puis dans la salle à manger d’autrefois, passant toujours devant lui comme un fantôme insaisissable, sans s’arrêter ni se retourner, lorsqu’il lui disait à voix basse :

« Affery, je voudrais vous parler ! »

Dans la salle à manger, la veuve sentimentale voulut jeter un coup d’œil dans le sombre cabinet au dragon, qui avait tant de fois dévoré Arthur aux jours de sa jeunesse. Peut-être Flora eut-elle envie de l’examiner de plus près, parce que c’était un endroit très-noir, et très-commode pour devenir aussi lourde que possible. Arthur, désespéré, venait d’ouvrir sa prison d’autrefois, lorsqu’on frappa à la porte cochère.

Mme  Jérémie, étouffant un cri de terreur, se cacha la tête sous son tablier.