Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/282

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pas rester là dans votre fauteuil pendant toute une journée sans rien prendre, parce que vous n’avez pas d’appétit ; au contraire, il faut manger quelque chose pour vous donner de l’appétit. Je vais prendre le thé dans ma chambre. Si ce n’est pas une trop grande liberté de ma part de vous faire cette offre, venez en prendre une tasse avec moi. Ou, si vous l’aimez mieux, je pourrai vous descendre ici le plateau en deux minutes. »

Convaincu que John se donnerait cette peine s’il refusait, désireux aussi de prouver qu’il n’avait oublié ni la prière de M. Chivery père, ni les excuses de M. Chivery fils, Arthur se leva en déclarant qu’il prendrait volontiers une tasse de thé chez l’ami John. Celui-ci referma la porte pour en épargner la peine au détenu, dans la poche duquel il glissa adroitement la clef, puis prit les devants pour lui montrer le chemin de sa propre résidence.

Il demeurait tout en haut du bâtiment le plus rapproché du greffe. C’était la chambre où Arthur était monté en courant le jour où la famille, récemment enrichie, quittait pour toujours la prison, et où il avait trouvé la petite Dorrit étendue à terre sans connaissance. Dès qu’il eut mis le pied sur la première marche de l’escalier, il devina où John le conduisait. La chambre n’était pas tout à fait dans le même état : on lui avait donné un coup de badigeon et on l’avait tendue d’un papier neuf ; elle renfermait aussi un mobilier plus confortable ; mais Clennam put aisément se la rappeler telle qu’un rapide coup d’œil la lui avait montrée, tandis qu’il prenait la jeune fille dans ses bras pour la porter jusqu’à la voiture.

John, en se mordant les doigts, fixait sur son convive un regard scrutateur.

« Je vois que vous connaissez cette chambre, monsieur Clennam.

— Oui, oui, je me la rappelle… Dieu bénisse la chère enfant ! »

John oubliait le thé pour continuer à se mordre les doigts et à regarder son invité jusqu’à ce que celui-ci eût cessé d’examiner la chambre. Puis il fit un bond vers la théière, y versa impétueusement tout le souchong qu’il avait dans sa boîte, et s’éloigna pour la remplir d’eau bouillante à la cuisine commune.

La chambre parlait à Clennam dans un langage si éloquent, au milieu du changement de circonstances qui le ramenait dans cette misérable prison, elle lui parlait si tristement de la petite Dorrit qu’il avait perdue, qu’il aurait eu beaucoup de peine à ne pas céder à son émotion, quand même il n’eût pas été seul. Mais, seul comme il était, il n’essaya même pas. Il posa la main sur le mur insensible avec autant de tendresse que s’il eût touché la jeune fille elle-même, et prononça son nom à voix basse. Il se mit à la croisée, et, regardant par-dessus le parapet de la prison et sa lugubre couronne de fer, il envoya, à travers le brouillard d’une chaude journée d’été, une bénédiction vers le pays lointain où la petite Dorrit vivait heureuse et riche.