Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/297

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si vous aviez besoin de me parler. Mais cela ne m’empêche pas de venir à peu près tous les jours. Le moment serait-il mal choisi pour vous adresser une observation ? demanda M. Rugg d’un ton câlin.

— Du tout, du tout ; autant maintenant qu’en tout autre moment.

— Hem !… L’opinion publique s’est beaucoup occupée de vous, monsieur.

— Je n’en doute pas.

— Ne serait-il pas à propos, monsieur, continua M. Rugg avec une éloquence encore plus insinuante, de faire enfin une légère concession à l’opinion publique ? D’une manière ou d’une autre, nous lui faisons tous des concessions. Le fait est que nous y sommes bien obligés.

— Je ne puis me réhabiliter dans l’opinion publique, monsieur Rugg, je n’ai pas le droit de l’espérer.

— Allons donc, monsieur Clennam ! Il en coûte fort peu pour obtenir d’être transféré d’ici à la prison du King’s-Bench, et si l’opinion publique s’étonne que vous n’essayiez pas, ma foi… je ne vois vraiment…

— Il me semble que vous avez reconnu vous-même, monsieur Rugg, interrompit Arthur, quand je vous ai communiqué ma résolution à cet égard, que c’est simplement une affaire de goût.

— Certainement, monsieur, certainement. Mais est-ce de bon goût ? Permettez-moi de vous demander si c’est de bon goût ? Voilà la question… (L’éloquence de M. Rugg était d’une douceur si persuasive qu’elle en devenait pathétique…) J’allais presque dire : est-ce même un bon sentiment ? Votre faillite, monsieur, n’est pas une petite affaire, et vous déroger à son importance en vous laissant claquemurer dans une méchante prison où un homme peut se faire coffrer pour une misérable banqueroute de quelques pence : n’est-ce pas manquer de dignité ? je le crois, pour ma part, et je ne saurais vous dire, monsieur, combien de personnes m’en ont déjà parlé dans le même sens. On m’en faisait encore l’observation pas plus tard qu’hier au soir, dans une taverne fréquentée par ce que j’aurais appelé l’élite des gens de loi, si moi-même je n’en étais pas une pratique assidue. On m’en faisait l’observation d’une manière qui a produit sur moi un effet désagréable. J’en étais blessé pour vous. Ce matin encore, à déjeuner, ma fille (ce n’est qu’une femme, direz-vous ; mais cependant elle comprend bien ces choses-là : elle en a même une certaine expérience personnelle, en sa qualité de plaignante dans le procès Rugg contre Bawkins), ma fille, dis-je, m’en exprimait sa vive surprise… sa vive surprise. Or, devant de pareils faits et considérant que personne ne saurait se mettre au-dessus de l’opinion publique, une légère concession à cette opinion ne serait-elle pas… voyons, monsieur, je ne veux pas pousser le raisonnement trop loin… ne serait-elle pas au moins une preuve d’amabilité ? »