Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/298

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Arthur s’était remis à rêver à la petite Dorrit et la question de M. Rugg demeura sans réponse.

« Quant à moi, monsieur, poursuivit M. Rugg, qui en tira la conclusion que son éloquence avait réduit Clennam à un état d’hésitation, j’ai pour principe de ne jamais songer à mes propres intérêts lorsqu’il s’agit des inclinations d’un client. Mais, connaissant votre obligeance, je répète que je désire vivement vous voir transférer à la prison de King’s-Bench. Votre faillite a fait du bruit, elle met en vue ceux qui sont chargés de la mener à bonne fin. Vous me poserez mieux vis-à-vis de mes collègues et de ma clientèle, si vous consentez à changer de prison. Ce n’est pas que cette considération doive vous influencer en rien, monsieur, c’est tout bonnement une réflexion que je vous soumets. »

La solitude et la tristesse avaient déjà rendu le prisonnier si distrait, et sa pensée, emprisonnée entre les murs lugubres de la geôle, était déjà si habituée à ne causer qu’avec une seule petite figure silencieuse, qu’il eut à secouer une espèce de torpeur avant de pouvoir regarder M. Rugg, se rappeler le fil de son discours et répondre vivement :

« Ma résolution est toujours la même et rien ne la changera. Ne me parlez plus de cela, je vous prie, ne m’en parlez plus ! »

M. Rugg répliqua, sans pouvoir cacher qu’il se sentait piqué au vif et mortifié :

« Oh ! fort bien, monsieur ; je reconnais que mes fonctions ne m’autorisent pas à vous importuner plus longtemps à ce sujet. Mais vraiment, lorsque j’entends observer dans plusieurs sociétés (des sociétés très comme il faut) qu’un étranger peut faire ce qu’il lui plaît, mais qu’il est indigne d’un véritable Anglais de rester dans la prison de la Maréchaussée lorsque les glorieuses libertés conquises par ses ancêtres lui permettent d’habiter une prison plus distinguée, j’ai cru pouvoir m’écarter un peu de la ligne étroite qui m’est tracée par les devoirs de ma charge, pour répéter à mon client les observations d’un public judicieux. Personnellement, je n’émets aucune opinion à cet égard.

— À la bonne heure, fit Arthur.

— Oh ! non ; personnellement je n’ai aucune opinion à ce sujet : autrement, j’aurais regretté, il y a quelques minutes, de voir un de mes clients recevoir, dans un endroit comme celui-ci, la visite d’un gentleman de noble famille, monté sur un cheval pur sang, mais j’ai senti que cela ne me regardait pas ; autrement, peut-être aussi, aurais-je désiré de pouvoir dire à un autre gentleman (qui a l’allure d’un militaire et qui attend encore dans la loge) que mon client n’a jamais eu l’intention de rester ici, et qu’il est sur le point d’élire un domicile plus convenable. Mais il est clair qu’un homme de loi n’est qu’une machine, et que cela ne me regarde pas. Votre bon plaisir est-il de voir ce gentleman, monsieur ?

— Un gentleman qui demande à me voir, dites-vous ?

— En effet, j’ai pris la liberté de vous le dire, bien que ça ne