Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/348

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que je vous rendais service. Mieux informée aujourd’hui, vous savez que je vous ai fait tort. Que vous ne compreniez pas ou que vous interprétiez mal les motifs pour lesquels j’ai dû accomplir cette œuvre, je sens que j’en souffrirai moins que de les voir mal compris ou mal interprétés par Arthur. Je ne voudrais pas, en échange de la plus grande récompense qu’un homme puisse obtenir sur cette terre, me voir par lui renversée, même dans un moment d’aveuglement, de la place que j’ai occupée à ses yeux depuis qu’il se connaît ; je ne voudrais pas devenir pour lui une étrangère digne de son mépris, vouée à l’opprobre et au déshonneur. S’il faut qu’il me méprise, que ce ne soit qu’après ma mort. Que je ne sache pas, tant que je serai de ce monde, que je suis morte pour lui, anéantie à ses yeux, comme si je venais d’être consumée par la foudre du Seigneur, ou engloutie par un tremblement de terre. »

Si son puissant orgueil, si le réveil de ses anciennes colères lui infligeaient de rudes souffrances, tandis qu’elle s’exprimait ainsi, elle n’en souffrait pas moins, lorsqu’elle ajouta :

« En ce moment encore, je vois que vous tremblez devant moi comme si vous trouviez que j’ai été cruelle. »

La petite Dorrit n’avait pas le courage de dire le contraire. Elle essaya de ne pas laisser percer sa répugnance instinctive ; mais elle reculait devant les terribles passions qui avaient allumé cette flamme dévorante, cet incendie qui durait depuis si longtemps : ces passions hideuses qui se présentaient à elle dans leur horrible nudité, sans que nul sophisme pût leur servir de voile.

« J’ai accompli, continua Mme  Clennam, la mission que le Seigneur m’avait chargée d’accomplir. J’ai lutté contre le mal, et non contre le bien. J’ai été un instrument de sévérité contre le péché. De simples pécheresses comme moi n’ont-elles pas, de tout temps, été chargées de punir les ennemis de Dieu ?

— De tout temps ? répéta la petite Dorrit.

— Quand même j’aurais été animée par le souvenir de mes propres griefs et le désir de les venger, ne pourrais-je pas trouver mille raisons pour justifier ma conduite ? Ma justification ne se trouve-t-elle pas écrite dans l’histoire de ces jours lointains où les innocents périssaient avec les coupables dans la proportion de mille contre un… où le sang même ne suffisait pas pour apaiser la colère du juste appuyé sur le bras du Seigneur ?

— Ô madame Clennam ? madame Clennam ! s’écria la petite Dorrit, ces exemples de colères haineuses et de vengeances implacables ne sont pas bons à suivre et ne renferment aucune consolation pour vous ni pour moi. J’ai passé presque toute ma vie dans cette pauvre prison, et mon éducation a été très-incomplète ; mais laissez-moi vous supplier de vous rappeler une époque moins éloignée et plus heureuse. Ne prenons pour guide que Celui dont la mission était de guérir les malades, de réveiller les morts, de consoler les affligés et les délaissés ; songez au doux et divin Maître qui a versé des larmes de pitié sur nos infirmités. Nous ne