Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/356

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— Oui, monsieur ; c’est tout pour le moment, pour le moment. Je vais, poursuivit le Patriarche, qui, après avoir vidé son verre, se leva d’un air aimable, je vais faire un petit tour, un petit tour. Peut-être vous retrouverai-je ici, sinon, monsieur, faites votre devoir ; pressurez, pressurez, lundi ; pressurez dès lundi matin. »

M. Pancks, s’étant donné un nouveau coup de hérissoir, contempla d’un air moitié indécis, moitié colère, le Patriarche qui se coiffait du chapeau à larges bords. Il paraissait aussi avoir encore plus chaud qu’au moment où il était sorti de son bassin, et soufflait plus péniblement. Néanmoins, il laissa M. Casby s’éloigner sans lui adresser d’autre observation. Mais, dès que le Patriarche fut sorti, le Remorqueur le regarda à la dérobée par-dessus les petits stores verts à hauteur d’appui qui garnissaient les croisées.

« Je m’en doutais, se dit-il alors. Je savais bien que vous iriez par là. Bon ! »

Puis il regagna son bassin à toute vapeur, mit son chapeau, regarda tout autour de lui, dit : « Adieu, » et se mit en marche pour son propre compte, n’ayant personne à remorquer pour le quart d’heure. Il navigua tout droit vers l’extrémité de la cour du Cœur-Saignant où se trouvait le magasin de denrées coloniales et l’heureuse chaumière des époux Plornish, et s’arrêta au haut des marches, plus échauffé que jamais.

Là, M. Pancks, résistant aux invitations de Mme  Plornish qui le pressait de faire une petite visite au père Nandy dans l’Heureuse Chaumière (par bonheur pour lui, elle n’insista pas comme elle l’aurait fait tout autre soir qu’un samedi, parce que ces soirs-là, la clientèle qui patronnait le magasin gratis se pressait en foule dans la boutique pour faire ses emplettes)… M. Pancks se tint immobile en haut des marches jusqu’au moment où il vit le Patriarche déboucher dans la cour, de l’autre côté, selon son habitude, et s’avancer à pas lents, distribuant des sourires bénévoles à une foule de solliciteurs qui l’entouraient déjà.

Alors, le Remorqueur descendit rapidement de son poste d’observation et se dirigea vers son propriétaire à grande vitesse.

Le Patriarche, s’avançant avec sa mansuétude habituelle, fut très-étonné de voir arriver M. Pancks, mais il supposa que, stimulé par leur récent entretien, il s’était décidé à ne pas attendre jusqu’au lundi pour commencer le pressurage recommandé. Les locataires, de leur côté, ne furent pas moins surpris de cette rencontre inattendue ; car le plus ancien habitant de la cour ne se rappelait pas avoir jamais vu en présence le maître et le commis. Mais qu’on juge de leur ébahissement, lorsqu’ils virent M. Pancks, s’approchant du plus vénérable des hommes, faire halte en face du gilet vert-bouteille, abattre son pouce sur son index comme le chien d’un fusil, pour saisir avec beaucoup de précision et d’adresse le large bord du chapeau patriarcal, et mettre à nu son chef rond et poli comme une grosse bille.

Après s’être permis cette petite liberté sur sa personne patriar-