Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/368

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sieur Flintwinch. Tattycoram déposa cette boîte aux pieds de son ancien maître ; puis elle tomba elle-même à genoux à côté de cette boîte, la frappa de ses deux mains en criant d’un air moitié triomphant et moitié désespéré, moitié riant et moitié pleurant :

« Pardonnez, cher maître ; reprenez-moi, chère maîtresse… La voici !

— Tatty ! s’écria M. Meagles.

— C’est bien là ce que vous cherchiez ? continua Tattycoram. La voici. Elle m’avait fait entrer dans une chambre voisine afin de m’empêcher de vous voir. J’ai entendu les questions que vous lui avez faites sur cette boîte ; je l’ai entendue vous répondre qu’elle ne l’avait pas. Mais, comme j’étais présente, quand cet homme l’avait laissée chez nous, le soir même, au lieu d’aller me coucher, je l’ai prise et je l’ai emportée. La voici !

— Mais, ma fille, s’écria M. Meagles plus haletant que jamais, comment avez-vous fait pour arriver en même temps que nous ?

— Je suis revenue dans le même paquebot que vous. J’étais assise en face de vous, enveloppée dans mon châle. Lorsque vous avez pris une voiture sur le quai, je suis montée dans une autre et je vous ai suivis jusqu’ici. Elle ne vous l’aurait jamais rendue, quand vous lui avez eu dit quelles sont les personnes qui la cherchaient. Elle l’aurait plutôt jetée à la mer ou brûlée. Mais la voici ! »

Avec quelle joie, quel ravissement, l’enfant prodigue répétait : « La voici ! »

« Elle avait prié cet homme de ne pas la laisser chez elle, je dois lui rendre cette justice ; mais il a insisté, et je suis bien sûre qu’après ce que vous lui avez dit, et après vous avoir soutenu qu’elle ne l’avait pas, elle ne vous l’aurait jamais rendue. Mais la voici ! Cher maître, chère maîtresse, reprenez-moi et rendez-moi mon vieux nom ! Pardonnez-moi en faveur de la boîte. La voici ! »

Papa et maman Meagles ne méritèrent jamais mieux leur nom, que lorsqu’ils reprirent sous leur protection paternelle cette enfant terrible qui n’avait jamais eu ni père ni mère.

« Oh ! j’ai été si malheureuse ! s’écria Tattycoram, qui pleura plus amèrement après cet aveu qu’elle ne l’avait fait jusqu’alors. Si malheureuse et si repentante ! Elle m’a fait peur la première fois que je l’ai vue. Je savais qu’elle n’exerçait tant d’empire sur moi que parce qu’elle comprenait trop bien mes défauts. Il y avait en moi une sorte de folie qu’elle pouvait exciter à son gré. Quand ça me prenait, je me figurais que tout le monde se mettait contre moi à cause de mon origine ; plus on me montrait de bonté, plus on m’irritait. Je ne voulais pas croire que ce fût pour autre chose que pour triompher de moi, pour me rendre envieuse et jalouse : mais je sais bien maintenant… je l’aurais su plus tôt si j’avais voulu… que personne n’y songeait. Et puis ma belle et bonne petite maîtresse n’était pas aussi heureuse qu’elle aurait dû l’être, et je l’avais quittée ! Elle doit me regarder comme une bête brute ! Mais vous lui direz un mot en ma faveur et vous l’engagerez à me pardonner