Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/37

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d’un caractère plus ferme et plus solide. J’ai même cru voir qu’elle sentait cette lacune, presque à son insu. Mais n’oubliez pas que cela ne doit pas vous inquiéter car elle est très-heureuse et se porte à merveille. Et elle était si jolie !

« J’espère la rencontrer avant peu, et même je m’attends tous les jours à la voir arriver. Je serai pour elle, à cause de vous, une amie aussi dévouée qu’il me sera possible de l’être. Cher monsieur Clennam, je suis sûre que vous ne vous faites pas un grand mérite d’avoir été un ami pour moi lorsque je n’en avais pas d’autre (je n’en ai pas davantage aujourd’hui, car je n’en ai pas fait depuis), mais moi, je vous en suis reconnaissante et je ne n’oublierai jamais.

« Je voudrais bien savoir (mais il vaut mieux que personne ne m’écrive) comment M. et Mme Plornish réussissent dans le commerce où mon cher père les a établis ; si le vieux M. Naudy n’est pas bien content de demeurer avec eux et ses deux petits-fils et s’il passe sa vie à leur répéter toujours ses chansons. Je ne puis empêcher les larmes de me monter aux yeux, lorsque je pense à ma pauvre Maggy et au vide qu’elle a dû ressentir d’abord (malgré les bontés qu’on peut avoir pour elle) en ne revoyant plus sa petite mère. Voulez-vous bien vous charger de lui dire en confidence, de ma part, que je l’aime toujours et qu’elle n’a jamais pu regretter notre séparation autant que je l’ai regrettée moi-même ? Et voulez-vous leur dire à tous que je pense chaque jour à eux, et que mon cœur leur reste fidèle dans quelque pays que je sois ? Oh ! si vous pouviez savoir combien je leur suis fidèle, vous me plaindriez de me trouver si loin d’eux par la distance comme par la fortune.

« Vous serez heureux, j’en suis sûre, d’apprendre que mon cher père se porte à ravir que tous ces déplacements lui ont fait beaucoup de bien, et qu’il est tout différent de ce qu’il était quand vous l’avez connu. Mon oncle y a aussi gagné, je crois ; mais, de même qu’autrefois il ne se plaignait jamais, il ne témoigne aujourd’hui aucune joie. Fanny est gracieuse, vive et intelligente. Elle peut faire maintenant la dame au naturel ; elle s’est accommodée à notre nouvelle fortune avec une aisance merveilleuse.

« Ceci me rappelle que je ne suis pas encore parvenue à l’imiter sous ce rapport et que je désespère quelquefois de jamais y réussir. J’ai peur d’être incorrigible et de ne pouvoir rien apprendre. Mme Général est toujours avec nous : nous parlons français et italien, et elle se donne beaucoup de peine à nous former. Quand je dis que nous parlons français et italien, je veux dire Fanny et les autres. Quant à moi, je fais si peu de progrès que je m’en tire très-mal. Dès que je commence à faire des projets et des châteaux en Espagne, mes projets, mes pensées et mes châteaux prennent le même chemin qu’autrefois, et je commence à m’inquiéter de la dépense du jour, de mon cher père, de mon ouvrage ; puis je me rappelle en sursaut que ces soucis-là n’existent plus pour nous… ce qui est encore une chose si nouvelle et si improbable que je re-