Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/375

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dû repousser de temps à autres les saillies humoristiques à la pointe de son parasol, ce qui l’avait considérablement échauffée.

« Je sais trop bien, mademoiselle Dorrit, commença Flora, que de proposer un entretien dans une localité quelconque à une personne tellement au-dessus de moi par sa fortune, et si courtisée par la société, ce serait toujours une indiscrétion, quand même il ne s’agirait pas d’une humble boutique de pâtissier, bien indigne de vous, quoiqu’il y ait un petit salon de derrière pour les consommateurs et que le maître soit un homme bien élevé… pourtant si dans l’intérêt d’Arthur… pardon je ne me déferai jamais de cette habitude devenue plus inconvenante que jamais… j’aurais une dernière remarque à faire, une dernière explication à donner, et peut-être votre bon cœur voudra-t-il bien excuser le théâtre vulgaire que j’ai choisi pour cette conversation sous prétexte de commander trois pâtés aux rognons. »

La petite Dorrit, ayant interprété comme il le fallait ce discours un peu obscur, répondit qu’elle se mettait à la disposition de Flora. La veuve traversa donc la rue et la conduisit vers la modeste boutique dont elle avait parlé, tandis que la tante de M. Finching, qui formait l’arrière-garde, cherchait à se faire écraser en route par les voitures avec une persévérance digne d’une meilleure cause.

Lorsque « les trois aux rognons, » qui devaient servir de prétexte à la conférence, eurent été servis sur trois plats d’étain, chaque pâté étant orné d’un petit trou à travers lequel le garçon bien élevé versa de la sauce comme on verse de l’huile dans une lampe, Flora commença par tirer son mouchoir.

« Si des rêves trompeurs, dit-elle alors, m’ont bercée du doux espoir que lorsque Arthur… (c’est plus fort que moi, veuillez m’excuser…) serait rendu à la liberté, il ne refuserait pas un petit pâté offert par l’amitié, fût-il plus rassis encore que ceux-là et quand il ne contiendrait pas plus de rognon que la grosseur d’une muscade hachée… de pareilles visions n’existent plus et tout sera oublié… Mais sachant que des relations plus tendres sont sur le tapis, je désire vous assurer que je fais des vœux sincères pour lui et pour vous, et que je ne me plains ni de l’un ni de l’autre… pas le moins du monde… Il se peut que je ne pense pas sans douleur, qu’avant que la faux du temps m’eût engraissée si horriblement et rendue si rouge au moindre effort, surtout après avoir mangé, que j’en suis toute bourgeonnée ; il est possible que je ne pense pas sans douleur qu’alors notre mariage avait des chances s’il n’avait été entravé par nos cruels parents et qu’une torpeur morale ne se fût pas emparée de moi jusqu’au jour où M. Finching trouva un moyen mystérieux de me conduire à l’autel… pourtant je ne voudrais pas manquer de générosité envers Arthur ou envers vous, et je vous souhaite bien cordialement toute espèce de bonheur. »

La petite Dorrit lui prit la main et la remercia de toutes les bontés qu’elle avait eues pour elle.

« N’appelez pas cela des bontés, répondit Flora qui lui donna un